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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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de l’île d’Elbe pour que Paris soit inondé de sang.
    Lucien tira doucement son frère par la main et le poussa sur la terrasse. Là, Napoléon fit quelques signes du bras et salua les bandes qui défilaient aux cris de   : « Vive notre Empereur et son fils, nous n’en voulons pas d’autre. »
    —  Vous voyez, dit Lucien, ce n’est pas compliqué.
    —  Plus que vous n’imaginez, vous brûlez de sauver le trône, dites-vous   ? Mais qu’est-ce que c’est le trône   ? Quatre morceaux de bois cousus d’étoffes précieuses. Non, le trône c’est un homme, et cet homme c’est moi. Alors voilà ce que je décide   : vous allez retourner à la Chambre. Essayez de les amener à la sagesse. Mais je vous interdis, vous m’entendez, je vous interdis de parler au peuple. À ce peuple qui réclame des armes. Je veux tout tenter pour la France. Je ne veux rien tenter pour moi.
    Lucien sortit sans un mot. Dans la cour de l’Élysée, il entendait monter du faubourg une sorte de mélopée litanique scandée par des milliers de voix.
    N E NOUS QUITTEZ PAS ... D ONNEZ - NOUS DES ARMES ...
    Napoléon fait lentement le tour du jardin de l’Élysée avec Caulaincourt, Carnot, Savary et Regnault.
    Lucien arrive en courant. Surexcité. Et sans préambule   :
    —  Pendant que vous parlez les Chambres préparent votre abdication. Voulez-vous finir en exil ou en prison   ? Il faut s’emparer du pouvoir par la force, imposer la dictature aux Chambres, renvoyer le Corps législatif et former un gouvernement de salut public.
    —  Avec qui   ?
    —  Avec Carnot, avec Ney, avec Davout, avec Jérôme. Avec moi.
    —  C’est un coup d’État que vous proposez   ?
    —  Quand je l’ai proposé il y a vingt ans vous n’avez pas refusé.
    —  Il s’agissait de sauver la Nation.
    —  Il s’agit toujours de sauver la Nation, et ce n’est pas un coup d’État, c’est un décret constitutionnel. La Constitution nous en donne le droit.
    —  Pour appliquer ce droit il faudra recourir à la force. C’est risqué. Et même si nous l’emportons, je les entends déjà ameuter le peuple. « Le voilà de nouveau, le despote, le tyran   ! » Et sans le peuple je ne pourrai pas résister à la coalition du dehors, aux royalistes du dedans, à cette part de la multitude qu’il faudra faire marcher par la force. Aujourd’hui le peuple fait cause commune avec moi, mais demain, l’armée elle-même m’obéirat-elle   ? Non, je ne serai pas responsable de la guerre civile. Le sang peut couler et alors où serons-nous conduits   ? Quelles scènes vont se renouveler   ? Je ne vais pas noyer ma mémoire de mes propres mains dans ce cloaque de sang, de crimes, d’abominations de toute espèce que la haine, les pamphlets, les libelles ont accumulé sur moi. Je risque de devenir pour la postérité et l’Histoire le Néron, le Tibère de notre temps.
    « Tous ces insensés qui se dressent contre moi, combien d’entre eux sont convaincus que je suis désintéressé. Que je ne veux combattre que pour sauver la patrie... À qui ferai-je croire tous les dangers, tous les malheurs auxquels je cherche à la soustraire. Aux pairs, aux représentants   ? Et tourné vers Carnot   : Ces gens là veulent gouverner, et ils sont dépourvus d’imagination. Et c’est l’imagination qui gouverne le monde.
    —  Oui, dit Lucien, et vous m’avez même dit   : « Je n’agis que sur les imaginations de la Nation. Lorsque le moyen me manquera, je ne serai plus rien. Un autre me succédera. » Eh bien, le moment est venu, vous n’avez plus d’imagination... En tout cas pas assez pour comprendre que la France n’est plus celle que vous avez quittée il y a un an. Elle aime mieux la Charte que les grandeurs de votre règne. Cédez-moi la régence... Avec moi la Nation voudra la République parce qu’elle y croira. Je vous donnerai le commandement en chef des armées. Avec l’aide de votre épée, je sauverai la Révolution.
    —  Taisez-vous, rugit Napoléon.
    Déjà Carnot réagit vertement   :
    —  Personne plus que moi n’a le droit de se dire l’organe des vrais républicains. Pas un d’eux ne voudrait échanger la dictature de votre génie contre celle du président du Conseil des Cinq-Cents.
    —  Sire, le général Solignac demande à vous voir. Il dit que c’est urgent.
    —  Dites-lui d’attendre.
    Le général Solignac est un ancien de l’armée d’Italie. Fier-à-bras, haut en couleur et

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