La nuit de l'ile d'Aix
fenêtre. Il se penche, apaise les ovations.
— Que voulez-vous ?
— Donnez-nous des armes. Nous venons défendre notre Empereur.
— Je vais vous faire donner des armes, mais n’oubliez pas que c’est contre l’ennemi qu’il faut vous en servir.
Et mille voix tendent leurs poings : donnez-nous des armes, le peuple de Paris est prêt à mourir pour vous...
— Ce n’est pas pour moi qu’il faut se battre désormais, c’est pour la France...
Il revient à Hortense :
— Vous voulez me faire plaisir ?
— Tout ce que vous voudrez, sire.
— Eh bien, je ne veux plus rester ici.
— Où voulez-vous aller ?
— A Malmaison, et si je peux aller jusqu’au bout de mon souhait, j’aimerais que nous y partions ensemble demain et que vous y demeuriez avec moi.
Il marche à travers la chambre, la tête penchée, le cou dans les épaules. Et à mi-voix :
— Je vais enfin avoir le temps de me pencher sur mes souvenirs.
Il se retourne vers Hortense.
— Je vous demande... je vous demande de me réserver une autre chambre que celle de l’impératrice.
Hortense séchait ses pleurs :
— Il sera fait selon votre désir, sire.
— Oh, ce n’est pas seulement un désir, c’est une prière...
— Je partirai demain avec vous.
Après dîner l’Empereur appelle Marchand et lui remet trois enveloppes :
— Tu vas les porter ce soir et tu les remettras en mains propres.
Marchand s’inclina, regarda les enveloppes et lut l’adresse de Marie Walewska, celle de Mme Pellaprat, la femme du banquier. La dernière était adressée à Marie-Antoinette Duchâtel.
Journée du 25 JUIN
« Mon cœur se refuse aux joies comme aux douleurs ordinaires. Les lois de morale et de convenance ne sont pas faites pour moi. »
N APOLÉON
Lazare Carnot est le premier visiteur de l’Élysée : il est 7 heures du matin. Le vieux Carnot, sa tête léonine, son masque de sénateur romain, son profil d’aigle romantique sous ses mèches de givre... En retrouvant Napoléon, il avait dit : « On n’abandonne pas sa mère dans le malheur. »
Ce matin il est grave, inquiet, pressant :
— Sire, si vous me permettez un conseil, n’allez jamais en Angleterre.
— Pourquoi donc ?
— Vous les avez trop longtemps humiliés, écrasés. Vingt ans de défaites pour la première fois de leur histoire. Ils vous haïssent.
— Et où iriez-vous à ma place ?
— Je vous l’ai dit : en Amérique bien sûr. Ceux-là vous révèrent. Et si on vous sait libre dans un pays qui incarne la Liberté, vous incarnerez pour les Français la résistance nationale aux Bourbons.
Sur le perron, l’émotion leur noue la gorge.
— ... Adieu, Carnot. Il aura fallu que le malheur s’abatte sur moi pour que je mesure l’affection que je vous porte. J’ai été injuste avec vous.
Carnot ne peut articuler un mot. Il étreint Napoléon et pose sa lourde tête sur l’épaule de l’Empereur. Et la voix brouillée :
— Adieu, sire, soyez moins malheureux que moi.
— Bertrand, Carnot a raison, les Anglais me haïssent. Je ne peux pas courir ce risque. Et il voit juste quand il me recommande l’Amérique. »
Bertrand haussa les sourcils :
— Sire, vous connaissez mon sentiment, l’Amérique, c’est un départ sans retour. Et c’est si loin...
— Rochambeau a prouvé le contraire, et avant lui Christophe Colomb. Vous allez adresser une deuxième lettre à la Commission du gouvernement pour réclamer deux frégates et les passeports pour l’Amérique.
Il dicte en marchant, les bras croisés derrière le dos.
— Eh bien, Bertrand, à quoi pensez-vous ?
— Que pourrons-nous faire en Amérique ?
— Mais l’Amérique, c’est notre véritable patrie sous tous les rapports. C’est un immense continent, d’une liberté particulière. Si vous avez de la mélancolie, vous pouvez monter en voiture, courir mille lieues et jouir constamment du plaisir d’un simple voyageur, vous y êtes l’égal de tout le monde, vous vous perdez à votre gré dans la foule sans inconvénient avec vos mœurs, votre langage ou votre religion... Nous en reparlerons. Allez, faites porter cette lettre à la Commission. Et une autre à mon bibliothécaire Barbier. Dites-lui de rassembler quatre cents volumes et de les acheminer en Amérique via Rochefort.
Toutes les églises de Paris sonnaient pour la grand-messe. Toutes les cloches de
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