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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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les projections à la lanterne magique ?»
    Lagrave repassait avec ses bouteilles.
    —  Ces messieurs veulent-ils goûter ce vin de Bergerac   ?
    —  Donnez, fit Napoléon.
    L’aubergiste emplit les verres.
    —  Voilà la fin de mon histoire, dit l’Empereur   : Joël Barlow n’avait que cinquante-huit ans, mais il était fatigué, anxieux, usé par une vie de débauche – comme disait ma mère qui le détestait –, et dans le sifflement du vent des steppes il n’entendit que le grincement des essieux, les hurlements des loups et les coups de feu isolés des traînards. Il mourut, dit le communiqué, “de froid et d’épuisement à Sarnovic, aux portes de Cracovie, le soir de Noël 1812”. Moi j’étais déjà loin. Je n’ai appris sa mort qu’au printemps suivant... Donnez-moi un peu de ce vin, Savary. Il est très bon...
    Il fit claquer sa langue.
    —  ... Eh bien, vous voyez, la bohémienne ne s’était pas trompée. Il n’est pas mort “à mes pieds   » mais, si on peut dire, à ma barbe...

 
    Journée du 2 JUILLET
    “ Je vous dispense de me comparer à Dieu. Il y a tant de singularités et d’irrespect pour moi dans cette phrase, que je veux croire que vous n’avez pas réfléchi à ce que vous écrivez.”
    N APOLÉON , lettre à Decrès
    Cette nuit du 1 er juillet avait été tendre et laiteuse sur les vallées du Vermandois, et l’Ile-de-France dormait comme le Jardin de la Grâce au matin du premier péché.
    Les seigneurs de la guerre étaient installés dans nos châteaux et leurs troupes dans nos villages. Et Paris faisait sa mue dans les fleurs. Les fenêtres, les parcs et les jardins déployaient une profusion de fleurs de lis comme on n’en avait plus vu éclore depuis le passage des oriflammes de la Pucelle sous les remparts de Paris. Paris pavoisait   : étendards, mouchoirs, cocardes et écharpes. Le cauchemar était fini et les affaires allaient reprendre. La ville s’était faite très vite à son nouveau destin. Les libelles couraient les théâtres et les cafés.
    —  Pour qui nous battons-nous   ?
    —  Qu’avons-nous à espérer   ?
    Le conseil municipal de Paris qui se targuait de refléter la pensée profonde de la ville, adresse une vibrante supplique à Fouché   : “Nous vous supplions de ne pas défendre la capitale.” Pour tout le monde, en dehors des ouvriers et de l’armée, l’essentiel est désormais la reprise des affaires. Et tandis que la rente remonte, le roi redescend vers Paris.
    Aujourd’hui que les Alliés sont les alliés de ma couronne, qu’ils combattent non des Français, mais des bonapartistes, qu’ils se dévouent si noblement pour la cause de mon pays, nous pourrons saluer leur victoire sans cesser d’être français... Et je viens rassurer mes enfants perdus... »
    Et quelques dizaines de milliers de ces sujets égarés et de ces soldats perdus s’étaient rassemblés dans les forêts qui couronnent Versailles.
    Exelmans dormait, enroulé dans une couverture aux pieds de son cheval.
    —  C’est l’heure, mon général.
    —  Redonne-moi la carte.
    —  Vous voyez, ils sont là, derrière Rocquencourt.
    —  Envoie un courrier à de Pully. Un autre à Beaumont. Un autre à Ambert...
    Dans les taillis les hommes s’éveillent et s’ébrouent. Les dragons sont déjà en selle. Le mot d’ordre d’Exelmans au départ est bref et limpide   : « Pas de quartier. Je ne veux pas de survivants. »
    Il en descendait de partout de ces enfants de la nuit. Des breuils de La Celle-Saint-Cloud, des coteaux du Butard et des forêts du Pecq, des bois de Verrières et de Meudon, et cette armée d’ombres étincelantes se ruait sur Rocquencourt. Les Prussiens ne dormaient que d’un œil   : « Alerte   ! Aux armes   ! »
    À midi, ils étaient fendus d’estoc et de taille, d’avers et de revers, et les cris qui montaient des colonnes des assaillants annonçaient la couleur de l’opération   : « A la mort, les braves, à la mort... »
    Depuis Iéna on n’avait jamais trucidé autant de Prussiens. Les hommes y allaient de bon cœur, à belles dents, à longues chevauchées et courte pointe. On embrochait les Prussiens comme quintaines et par centaines. Ceux-là mêmes qui voulaient brûler Paris la veille perdaient leurs tripes sur l’herbe et leurs têtes roulaient sur les pavés {60} .
    —  Tant qu’il y en a encore un de vivant, criait Exelmans, qui essuyait son sabre gluant sur sa pelisse, j’en

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