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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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une longue histoire, ce pli déclaré « très urgent » a mis dix mois à me rejoindre. Vous savez qu’en 1811 pour être agréable à Monrœ que j’avais bien connu à Paris sous le Directoire, j’avais fini par lever le séquestre des navires américains. Mais vous connaissez les lenteurs de l’administration. Après trois mois mon décret n’avait pas été suivi d’effets. Or la saisie de leurs bateaux menait les Américains à la ruine. Alors Monrœ se décida à m’envoyer un ambassadeur extraordinaire. Et qui choisit-il pour cette mission de confiance, je vous le demande, son meilleur ami, l’inévitable Barlow.
    —  Joël Barlow... ?
    —  Mais oui, sourit Napoléon, l’ininventable, le providentiel, le chapelain de Washington, l’escroc de la Compagnie du Sciotto, le promoteur des lanternes magiques du Panorama, celui qui m’avait amené à Thomas Paine, celui qui finançait les sous-marins de Fulton, celui, celui-là même enfin qui m’avait présenté à Monrœ. Il avait été nommé citoyen français par la Convention et pendant ses seize années de résidence à Paris, avait noué de solides amitiés.
    « Dès son arrivée il se fait annoncer chez le duc de Bassano et lui expose sa mission. Bassano lui confirme que j’avais signé à Saint-Cloud le 28 avril le décret qui annulait toutes les mesures prises à l’encontre de la Marine américaine. « Mais ce décret n’est pas entré en application   ! gémit Barlow. Comment en avoir la confirmation   ? Le président Monrœ souhaiterait vivement une lettre de l’Empereur. Il m’a chargé d’un message confidentiel à lui remettre en mains propres. Il faut absolument que vous m’obteniez une audience de Sa Majesté."
    « Dix ans après l’affaire Fulton – et bien qu’ambassadeur extraordinaire –, Barlow n’osait plus m’aborder de front. Il passait par les préséances de la cour. Mais vous connaissez Bassano... Il promit, lanterna, fit traîner en longueur. Barlow avait renoué avec la vie parisienne, sans cesser de harceler Bassano   : « J’ai reçu des instructions précises du Président, je dois remettre cette lettre, je ne peux pas repartir avec de vagues promesses, demandez à l’Empereur de me recevoir..."
    Lagrave frappait à la porte, proposait deux bouteilles de franc blanc, ce vin qui mûrit dans les sables et fleure la framboise sure et la pierre à fusil. Il venait s’assurer de la bonne marche du service.
    —  Nous attendons le rôti, dit Savary.
    —  Il arrive, messieurs, il arrive...
    —  Je poursuis, dit l’Empereur, j’ai reçu la demande d’audience la veille de mon départ pour le quartier général de la Grande Armée. Barlow déçu, désemparé, n’osait plus repartir pour New York les mains vides. Il se résigna finalement à suivre Bassano à Wilna. Il y parvint après un voyage épuisant au début de novembre et trouva la ville en proie au désordre et à l’inquiétude. Les fausses nouvelles – et les vraies  – déferlaient au quartier général. On racontait que j’étais tombé aux mains des cosaques, que je m’étais noyé dans la Berezina. Barlow rongeait son frein quand arriva à Wilna une nouvelle incroyable, une vraie cette fois   : le général Malet avait pris le pouvoir à Paris et proclamé la République. Le messager de Monrœ se hasarde en dehors de la ville et il est terrorisé par les scènes de panique et de débâcle qu’il découvre. Déjà arrivaient les premiers convois de blessés, les premiers fuyards et tous ceux-là parlaient de l’enfer russe. Barlow a recueilli de la bouche des premiers témoins le récit de la déroute. Il a compris que notre défaite allait avoir pour les États-Unis des conséquences dramatiques.
    —  Quelles conséquences, sire   ? risque Savary.
    —  Vous m’étonnerez toujours, monsieur le duc de Rovigo. La guerre avec la France contraignait les Anglais à mobiliser le meilleur de leurs troupes en Europe. Une France défaite et amoindrie libérait les contingents anglais pour attaquer les États-Unis. Vous me suivez   ? Bien. Donc Barlow décide de regagner Paris au plus vite et d’avertir Monrœ. Il repart pour Cracovie. Et moi, je revenais en brûlant les étapes, Malet avait pris le pouvoir... Vous vous souvenez, Savary...
    Savary baissait le nez dans son assiette. Napoléon ne l’accabla pas plus avant.
    —  Malet avait renversé l’Empire en une nuit, ce qui prouve que tout peut arriver. Et pour

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