La Papesse Jeanne
ses
coussins.
— La
douleur, Benoît, gémit-il. Je n’en puis plus.
Benoît prit une
carafe sur la table, emplit de vin la coupe d’or qu’il venait de récupérer, et
l’offrit à son frère.
— Bois. Cela
te fera du bien.
Serge la vida d’un
trait.
— Encore,
dit-il, en tendant la coupe.
Benoît la remplit
une deuxième fois, puis une troisième. Un filet de vin dégoulina à la
commissure des lèvres du pape. Serge était de faible constitution, mais très
gras. Son aspect général évoquait un système de sphères superposées : son
visage rondelet était relié à un menton tout aussi rond, et ses yeux globuleux
occupaient le centre de deux orbites circulaires.
— Et
maintenant, reprit Benoît quand la soif de son frère parut étanchée, regarde ce
que je viens de faire pour toi. Voici quelqu’un qui pourra t’aider. Je te
présente Jean Anglicus, guérisseur de grand renom.
— Encore un
médecin ! soupira le pape.
Il n’émit
cependant aucune objection quand Jeanne écarta les couvertures afin de l’examiner.
Son état de délabrement la choqua. Ses jambes étaient excessivement enflées, et
leur peau était tendue à craquer. Le pontife souffrait évidemment d’une grave
inflammation articulaire. Elle en soupçonna sur-le- champ l’origine, mais il
lui fallait encore examiner l’intérieur de ses oreilles pour confirmer son
hypothèse. Ce qu’elle fit sans tarder. Les concrétions tophacées étaient bien
là, petites excroissances pâles semblables à des yeux de crabe dont la présence
ne pouvait signifier qu’une chose : Serge souffrait d’une attaque aiguë de
goutte. Était-il possible que ses médecins ne l’eussent pas compris ?
À la recherche de
la source de l’inflammation, Jeanne promena une paume sur la peau rouge et
luisante du pontife.
— Au moins,
grommela Serge, ce médecin-là n’a pas une main de laboureur.
Une telle lucidité
était étonnante, car le pape brûlait de fièvre. Jeanne prit son pouls,
remarquant au passage les multiples entailles faites à son bras par les
saignées successives. Son cœur était faible, et son teint, à présent que la
colère était passée, avait viré au bleuâtre.
Rien de
surprenant à ce qu’il ait si soif, se dit-elle. Ils ont failli le tuer à force de saignées.
Elle se tourna
vers un jeune chambellan.
— Apporte de
l’eau. Vite.
Il fallait
absolument circonscrire la bouffissure de ses membres. Grâce au Ciel, elle
avait apporté avec elle un peu de bulbe de colchique en poudre. Elle retira de
sa besace un petit carré de parchemin, qu’elle déplia avec soin pour ne rien
perdre de la précieuse substance. Le chambellan revint avec une carafe. Jeanne
versa un peu d’eau dans une timbale et y laissa infuser deux drachmes de
poudre. Elle ajouta au breuvage ainsi obtenu un peu de miel clarifié pour
masquer son amertume, ainsi qu’une petite dose d’herbe aux poules pour endormir
le pontife – car le sommeil était le meilleur remède contre la douleur,
et le repos sa meilleure chance de guérison.
Elle tendit la
timbale à Serge, qui y porta avidement les lèvres. Dès la première gorgée,
cependant, il recracha le tout avec dégoût.
— C’est de l’eau !
— Buvez,
ordonna Jeanne.
À sa grande
surprise, le pape obéit.
— Et
maintenant ? demanda-t-il après avoir vidé la timbale. Vas-tu me purger ?
— Je pensais
que Votre Sainteté avait eu son content de cette sorte de torture.
— Tu veux
dire que tu ne vas rien faire d’autre ? interrogea Benoît. Trois gorgées
de ta potion suffisent ?
Jeanne soupira.
Elle avait déjà été maintes fois confrontée à ce genre de réaction. Les malades
exigeaient des mesures draconiennes. Plus le mal était grave, plus ils s’attendaient
à un traitement violent.
— Votre
Sainteté souffre d’une forte crise de goutte. Je lui ai administré du bulbe de
colchique, qui est un remède éprouvé. D’ici peu, elle s’endormira. Et si Dieu
le veut, la douleur aura disparu d’ici quelques jours.
Comme pour
confirmer ses dires, le souffle rauque du pape s’allongea peu à peu. Il se
laissa aller contre ses oreillers et ferma les paupières.
La porte s’ouvrit
tout à coup. Un petit homme entra à pas saccadés, visiblement nerveux. Son
regard évoquait celui d’un coq prêt au combat. Il se mit à agiter un rouleau de
parchemin sous le nez de Benoît.
— Voici le
document, lâcha-t-il. Il ne manque plus que sa
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