La Papesse Jeanne
terme d’une messe funèbre au Latran,
dans une crypte attenante à la petite chapelle où reposaient déjà les
souverains pontifes Grégoire et Serge.
Jeanne le pleura
sincèrement. Même si Arighis et elle ne s’étaient pas toujours bien entendus,
surtout dans les premiers temps, ils avaient fini par se respecter l’un l’autre.
Elle appréciait à sa juste valeur la discrète efficacité du vice-dominus, sa
connaissance inégalable des moindres détails des rouages complexes du
fonctionnement du Latran, et même la fierté distante avec laquelle il s’acquittait
des devoirs de sa charge. Il n’était que justice qu’il reposât désormais pour l’éternité
auprès des Apôtres suprêmes, qu’il avait toujours servis avec une dévotion
totale.
Après l’observance
du deuil officiel, le triste bilan des dommages commença. Si le « mur
léonin », où le foyer semblait s’être déclaré, n’avait subi que des dégâts
mineurs, le Borgo était aux trois quarts détruit. Les colonies et les églises
étrangères n’étaient plus que ruines.
Dans ces
conditions, le fait que la basilique Saint-Pierre eût été épargnée tenait du
prodige – et l’on s’empressa de crier au miracle. Le pape Léon,
disait-on, avait repoussé le feu en se signant face aux flammes dévorantes.
Cette version des faits fut avidement reprise par le peuple de Rome, lequel
avait plus que jamais besoin de croire que son Dieu vénéré ne s’était pas
retourné contre lui.
Le miracle
accompli par Léon, attesté avec ferveur par toutes sortes de témoins, permit
aux Romains de retrouver la foi. Et le nombre des témoins ne cessa de s’accroître
chaque jour, au point qu’il parut bientôt évident que la cité entière avait
lutté pour Saint-Pierre en cette fatale matinée.
Les critiques qui
pesaient sur le pape furent balayées. Léon était un héros, un prophète, une
vivante incarnation de l’esprit de saint Pierre. Le peuple se réjouissait de l’avoir
pour guide, car un pontife capable de tels miracles devait également avoir le
pouvoir de protéger Rome des Sarrasins.
Cependant, cette
allégresse n’était pas universellement partagée. Lorsque la nouvelle du miracle
parvint à l’église Saint-Marcel, ses portes furent immédiatement fermées. Les
baptêmes furent reportés, les audiences annulées sans préavis. Les curieux s’entendirent
répondre que le cardinal Anastase était victime d’une soudaine indisposition.
Jeanne
travaillait jour et nuit à distribuer vêtements, remèdes et autres produits de
première nécessité aux hospices et aux maisons de charité de la ville. Les
infirmeries regorgeaient de blessés, et le nombre de médecins étant cruellement
insuffisant, elle leur prêtait main-forte partout où la chose était possible.
Pour certains, brûlés et noircis jusqu’à l’os, il n’y avait plus rien à faire,
hormis leur administrer des décoctions de pavot, de mandragore et d’herbe aux
poules afin d’adoucir leur agonie. D’autres étaient défigurés par d’horribles
plaies, susceptibles de s’infecter. Jeanne leur appliquait des cataplasmes de
miel et d’aloès, bien connus pour leur action sur les brûlures. D’autres
encore, épargnés par les flammes, souffraient d’avoir inhalé de trop grandes
quantités de fumée. Ceux-là étaient plongés dans un abîme de tourments, car ils
se débattaient pour survivre chaque fois qu’ils reprenaient leur souffle.
Ébranlée par l’effet
cumulé de tant d’horreurs et de morts, Jeanne connaissait une nouvelle crise de
doute. Comment un Dieu bienveillant avait-il pu laisser un tel désastre se
produire ? Comment se pouvait-il qu’il eût châtié aussi cruellement des
nourrissons forcément vierges de tout péché ?
L’ombre de ses
vieux doutes s’abattit de nouveau sur son cœur troublé.
Un matin, alors
qu’elle était en conciliabule avec Léon pour obtenir l’ouverture des portes des
entrepôts pontificaux aux victimes de l’incendie, Waldipert, le nouveau
vice-dominus, entra dans la salle du conseil sans avoir été annoncé. C’était un
être osseux, de haute taille, dont la peau pâle et les cheveux jaunes
trahissaient l’ascendance lombarde. Jeanne ne s’était pas encore habituée à
voir cet étranger dans le costume officiel d’Arighis.
— Votre
Sainteté, annonça Waldipert, je dois vous informer que deux citoyens
sollicitent une audience
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