La Papesse Jeanne

Dieu !
gémit-il. Tout ce sang innocent versé ! Jamais je ne referais une chose
pareille, même si mille cardinaux me l’ordonnaient ! Je ne puis vivre avec
le souvenir de mon crime, ajouta-t-il, levant sur le pape un visage baigné de
larmes. Aidez-moi, Très Saint Père, je vous en supplie ! Prononcez votre
pénitence ! Je suis prêt à affronter la mort, n’importe quelle mort, aussi
terrible soit-elle, pour racheter mon âme !
    Jeanne le
regardait fixement, partagée entre l’horreur et la pitié. À l’évidence, il
fallait ajouter la corruption du cœur de ce jeune homme à la longue liste des
méfaits d’Anastase. Cet être simple et sans malice n’était pas fait pour
commettre un tel crime, ni pour garder sur sa conscience un poids aussi lourd.
    Léon posa une
main sur la tête de Dominique.
    — Nous avons
déjà eu assez de morts, mon fils. Quel profit tirerait le monde si la tienne
venait s’ajouter à la liste ? Non, Dominique, je te condamne non à la
mort, mais à la vie  – à une vie d’expiation. À partir d’aujourd’hui, tu
es banni de Rome. Tu partiras en pèlerinage à Jérusalem, où tu auras l’occasion
de prier devant le Saint-Sépulcre pour implorer le divin pardon.
    L’adolescent leva
sur le pape des yeux éberlués.
    — Est-ce
tout ?
    — La voie de
l’expiation n’est jamais facile, mon fils. Le voyage te paraîtra bien assez
ardu.
    Le pape disait
vrai, songea Jeanne au souvenir de son propre pèlerinage vers Rome. Dominique
devrait désormais vivre loin de son pays natal, séparé de sa famille, de ses
amis, et de tout ce qu’il connaissait. Sur la route de Jérusalem, il allait
affronter d’innombrables dangers  – les montagnes abruptes et les gorges
perfides, les chemins infestés de bandits, la faim, la soif, et mille autres
périls.
    — Consacre
ta vie au service désintéressé de tes frères, enchaîna Léon. En toutes choses,
conduis-toi de façon que tes bonnes actions puissent un jour contrebalancer l’immense
péché que tu viens de commettre.
    Dominique se jeta
de nouveau à terre et baisa l’ourlet de la robe pontificale. Puis il se leva,
pâle et résolu, les traits transfigurés comme sous l’effet d’une révélation
divine.
    — Ma vie
vous appartient, Très Saint Père. Je ferai tout ce que vous venez de m’ordonner.
Je le jure, par le corps et par le sang de Jésus-Christ notre Sauveur !
    Léon le bénit.
    — Va en
paix, mon fils.
    Dominique se
retira, accompagné du prêtre.
    — Le
cardinal Anastase est issu d’une puissante famille, déclara gravement le pape.
Nous devrons donc agir en stricte conformité avec la loi. Je m’en vais rédiger
une assignation détaillant les charges retenues contre lui. Viens avec moi,
Jean. Il se peut que j’aie besoin de ton aide. Quant à toi, Waldipert...
    — Oui, Votre
Sainteté ?
    Léon le gratifia
d’un hochement de tête approbateur.
    — Je te
félicite. Tu as fait preuve de clairvoyance.
     
     
    — Tu as bien
fait de m’apporter sans tarder cette nouvelle, vice-dominus, dit Arsène.
Laisse-moi te témoigner ma gratitude.
    Il était en
conférence secrète avec Waldipert dans une chambre retirée de son immense
palais. Celui-ci venait d’achever le récit de la rencontre entre le pape Léon
et le jeune Dominique.
    Arsène ouvrit un
petit coffret de bronze posé sur la table, y puisa vingt sous d’or et les
tendit à Waldipert, qui empocha le tout prestement.
    — Je suis
heureux d’avoir pu vous rendre service, monseigneur, répondit le vice-dominus
avec une ébauche de révérence.
    Sans perdre un
instant, il tourna les talons et s’en fut. Arsène ne lui tint pas rigueur de ce
départ précipité. Il était impératif pour le vice-dominus de regagner le Latran
avant que son absence ne fut remarquée.
    Arsène se
félicita d’avoir décelé en Waldipert, des années auparavant, un jeune homme
plein d’avenir, alors qu’il n’était que chambellan. S’adjuger sa loyauté au fil
des ans lui avait coûté cher. Mais à présent que Waldipert était vice-dominus,
cet investissement allait enfin porter ses fruits.
    Arsène sonna un
valet.
    — Cours à l’église
Saint-Marcel et somme mon fils de venir sur-le-champ.
     
    À l’annonce de la
nouvelle, Anastase se laissa lourdement tomber dans un fauteuil, face à son
père. Humilié jusqu’au plus profond de son être, il se maudit intérieurement.
    — Comment
aurais-je pu me douter que cet imbécile