La Papesse Jeanne
de Nicée.
— Confessio
Fidei. Le sens de cette locution ?
— C’est la
doctrine pernicieuse qui prétend que le Christ aurait été d’abord humain, et
ensuite seulement serait devenu divin par le biais de son adoption par le Père. Filius non pro- prius, sed adoptivus.
Elle tenta en
vain de déchiffrer l’expression d’Odo.
— En quoi
consiste la fausseté de cette hérésie ?
— Si le
Christ est devenu fils de Dieu par grâce divine et non par nature, il ne peut
qu’être subordonné au Père. C’est une hérésie et une abomination, récita
consciencieusement Jeanne, car l’Esprit Saint procède non seulement du Père,
mais aussi du Fils. Il n’y a qu’un seul Fils, et il n’est pas adoptif. In
utraque natura proprium eum et non adoptivum filium Dei confitemur.
Plusieurs
convives firent claquer leurs doigts en signe d’approbation.
— Litteratissima ! s’écria quelqu’un.
— Un vrai
petit phénomène, n’est-ce pas ? renchérit une dame dans le dos de Jeanne.
— Eh bien,
Odo ? s’enquit l’évêque. Qu’en dis-tu ? Le Grec a-t-il dit vrai ?
Odo fit la
grimace, un peu comme s’il venait de boire une gorgée de vinaigre.
— Il semble
en effet que cette enfant ait quelque notion de la théologie orthodoxe. Mais en
soi, cela ne prouve rien, lâcha-t-il d’un ton condescendant. Il existe, chez
certaines femelles, une faculté hautement développée leur permettant de garder
en mémoire et de répéter les paroles entendues dans la bouche des hommes, d’où
résulte une apparence de pensée. Mais cette qualité ne doit surtout pas être
confondue avec le véritable raisonnement, qui reste une vertu essentiellement
mâle. Car comme nous le savons tous, la femme est, par nature, inférieure à l’homme.
— Pourquoi ?
laissa échapper Jeanne avant d’avoir pu se retenir.
Odo sourit. On
aurait dit un renard sûr d’avoir pris un lièvre au piège.
— Cette
question, fillette, révèle l’étendue de ton ignorance. Car saint Paul lui-même
a édicté cette vérité, que les femmes sont en dessous des hommes par leur
conception, par leur place et par leur volonté.
— Par leur
conception, par leur place et par leur volonté ? répéta Jeanne, sans
comprendre.
— Oui,
répondit Odo, très lentement, comme s’il s’adressait à une demeurée. Par leur
conception, car tu sais qu’Adam fut créé le premier, et qu’Ève ne le fut qu’ensuite ;
par leur place, car Ève fut créée pour être la compagne d’Adam ; et par
leur volonté : incapable de résister à la tentation, elle mangea la pomme.
De nombreux
convives acquiescèrent dans la salle. L’évêque prit un air grave. À son côté,
le chevalier aux cheveux roux ne laissait rien transparaître de ses pensées.
Odo eut un petit sourire satisfait, qui souleva dans le cœur de Jeanne un profond
dégoût. Elle réfléchit longuement en se caressant le bout du nez.
— Et
pourquoi, finit-elle par répliquer, la femme serait-elle inférieure par sa
conception ? Elle fut peut-être créée en second, mais à partir de la côte
d’Adam, alors que celui-ci était constitué de simple terre glaise.
Quelques murmures
s’élevèrent vers le fond de la salle.
— Quant à sa
place, reprit-elle, la femme devrait être préférée à l’homme, car Ève fut créée
à l’intérieur du paradis, tandis qu’Adam naquit hors de ses limites.
Nouveaux
murmures. Le sourire d’Odo se figea. Jeanne ne s’en rendit pas compte, fascinée
par les ramifications de son raisonnement.
— Et en
matière de volonté, la femme devrait être jugée supérieure à l’homme, car si
Ève croqua la pomme par amour de la connaissance et du savoir, Adam l’imita
uniquement parce qu’elle lui avait demandé de le faire.
Un silence outré
s’abattit sur la salle. Les lèvres d’Odo se plissèrent de colère. L’évêque
dardait sur Jeanne une paire d’yeux incrédules.
Elle était allée
trop loin.
Certaines
idées sont dangereuses, l’avait un jour avertie
Asclepios.
Elle s’était
laissé entraîner par la chaleur du débat. Cet homme, cet Odo, ce monstre d’arrogance,
n’avait eu de cesse de la rabaisser devant l’évêque. Elle venait de sacrifier
toutes ses chances d’être admise à l’école de l’évêché et le savait, mais pour
rien au monde elle n’aurait accepté de se laisser humilier par ce petit clerc
plein de haine. Elle redressa le menton et fit face à la table, le regard
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