La Papesse Jeanne
banc
de cette maudite carriole !
Et tout cela
parce qu’elle était une fille ! Pour la centième fois, elle maudit le sort
qui avait si mal déterminé son sexe.
— Il est
impoli de regarder fixement autrui, Jeanne, remarqua Richild en dardant sur
elle ses prunelles sombres et dédaigneuses.
Jeanne cessa de
contempler Gerold.
— Je vous
demande pardon, ma dame.
— Garde les
mains croisées dans ton giron et baisse les yeux, comme il sied à toute
demoiselle modeste.
Jeanne obéit
humblement.
— Un bon
maintien, poursuivit Richild, est la plus haute des vertus féminines, bien
davantage que sa capacité à lire. Tu le saurais si tu avais été convenablement
élevée.
Après avoir
surveillé sa pupille quelques instants, la femme de Gerold reporta son
attention sur sa broderie. Jeanne l’épia du coin de l’œil. Richild était
indubitablement belle selon les canons de la mode, lesquels requéraient pâleur,
mine ascétique et épaules chétives. Sa peau, lisse s’étirait sur un front
extrêmement haut, couronné de boucles noires, luisantes, épaisses. Ses yeux,
bordés de longs cils, étaient d’un brun si profond qu’ils semblaient presque de
jais. Jeanne sentit une pointe d’envie la tenailler. Richild était tout ce qu’elle
ne serait jamais.
— Allons,
Jeanne, il est grand temps que tu me donnes ton avis, l’interpella Gisla, la
fille aînée de Gerold, d’une voix joyeuse. Quelle robe porterai-je pour mes
noces ?
Âgée de quinze
hivers, Gisla était d’un an l’aînée de Jeanne. Elle était d’ores et déjà
promise au comte Hugo, un seigneur de Neustrie. Gerold et Richild se
réjouissaient de cette alliance. Le mariage devait avoir lieu six mois plus
tard.
— Comment le
pourrais-je ? dit Jeanne. Tu as tant de belles robes !
C’était la pure
vérité. Jeanne était toujours surprise par l’ampleur de la garde-robe de Gisla,
suffisamment variée pour lui permettre de porter chaque jour, pendant une
demi-lune, une tunique différente. À Ingelheim, une fille qui n’en possédait qu’une
était déjà bien lotie, et elle en prenait le plus grand soin, la sachant
appelée à durer de nombreuses années.
— Quelle que
soit celle que tu choisiras, je suis sûre que le comte Hugo te trouvera
ravissante.
Gisla gloussa.
Fille au grand cœur mais à l’esprit simple, elle partait d’un rire nerveux
chaque fois que l’on mentionnait le nom de son fiancé.
— Oh non !
lâcha-t-elle. Tu ne t’en tireras pas ainsi ! Mère trouve que je devrais
porter la bleue, mais je préfère la jaune. Allons, donne-moi une vraie réponse.
Jeanne exhala un
soupir. En dépit de son caractère léger, écervelé même, elle appréciait Gisla.
Elles partageaient le même lit depuis le soir où elle était arrivée à Villaris,
épuisée et craintive. Gisla l’avait fort bien accueillie, s’était montrée
aimable, et Jeanne lui en saurait éternellement gré. Cependant, cette
conversation menaçait de tourner rapidement au supplice, l’intérêt de Gisla
étant tout entier centré sur les étoffes, la nourriture, et les hommes. Depuis
plusieurs semaines, elle ne parlait que de son mariage, ce qui commençait à
mettre à rude épreuve la patience de son entourage.
Jeanne sourit et
fit un effort pour se montrer obligeante.
— Peut-être
devrais-tu choisir la bleue. Elle rehausse l’éclat de tes yeux.
— La bleue ?
Crois-tu ? répéta Gisla, fronçant les sourcils. La jaune, elle, possède un
ravissant galon de dentelle.
— Va pour la
jaune, dans ce cas.
— Tu as
cependant raison, la bleue va bien avec mes yeux. Peut-être est-ce le meilleur
choix. Qu’en penses-tu ?
— Moi, intervint
Ohuoda, je pense que je vais me mettre à hurler si j’entends encore parler de
cette maudite noce ! Qui se soucie de connaître la couleur de ta robe ?
La cadette,
malgré ses neuf ans, était de plus en plus jalouse de l’attention trop
exclusivement témoignée à son aînée depuis quelque temps.
— Dhuoda,
cette remarque est inconvenante, fit Richild en levant les yeux de sa broderie.
— Je te
demande pardon, dit Dhuoda à sa sœur, d’un air contrit.
Mais dès que sa
mère eut de nouveau détourné le regard, elle tira la langue à Gisla, qui lui
répondit par un sourire indulgent.
— Quant à
toi, ajouta Richild à l’intention de Jeanne, tu n’as pas à donner ton opinion.
C’est moi seule qui déciderai de la tenue de Gisla.
Jeanne rougit,
mais ne
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