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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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que j’ai donné ce que j’avais de mieux. Des chevaux. Un haubert de Tolède. Je t’ai fait adouber comme un fils de comte. » Haguenier éclata en sanglots.
    Herbert, pris tout d’un coup d’une fatigue mortelle, ferma les yeux. Il s’assoupissait. On essaya de le faire boire, mais il ne put rien avaler, il rejetait tout. « Ça va mal, ça commence déjà, dit-il, comme à lui-même. Je veux qu’on cherche ma mère, à Bernon. Il faut qu’elle lève la malédiction, »
    Le curé de Linnières, que des valets étaient allés chercher, entra dans la salle, précédé d’un jeune enfant qui agitait une clochette. Il neigeait dehors, le curé avait de la neige sur son capuchon et sur le tissu qui couvrait le calice qu’il tenait des deux mains.
    Les valets, et les écuyers, et les femmes rassemblées dans la salle se mirent à genoux. Herbert, surpris par le son de la clochette et par le brusque silence qui s’était établi dans la salle, releva péniblement la tête. Giraut et Adam s’étaient approchés du prêtre et, après avoir plié le genou devant le calice, ils débarrassèrent l’homme de sa cape et le menèrent à un coffre près de l’âtre où la femme de Giraut étala une serviette blanche que le prêtre bénit d’une main avant d’y déposer son précieux fardeau.
    Quand Herbert aperçut le curé de Linnières, avec sa longue face tannée et sa soutane rapiécée, il eut un accès de terreur sauvage, dont il ne se fût jamais cru capable. « Va-t’en, corbeau ! cria-t-il. Je ne suis pas mourant ! Je ne veux pas mourir. Va-t’en. » Le prêtre s’agenouilla devant lui et lui présenta son étole à baiser. « Je ne me confesserai pas à toi, non, dit Herbert, non, pas encore. Je veux le père Aubert, Ah ! les chiens, les chiens ! Allez chercher ma mère à Bernon. Je ne me confesserai pas que je n’aie vu ma mère. »
    Le prêtre alla s’asseoir près du feu pour se chauffer les pieds. Giraut le suivit. « Voilà bien du malheur, dit-il. M’est avis, mon père, qu’il faudrait faire venir les prévôts du comte.
    — Que vos valets les cherchent, pas moi, dit le prêtre, sombre, le seigneur Herbert sait très bien faire justice sur sa terre. Qu’il fasse ce qu’il veut.
    — Vous serez témoin, dit Giraut, il y a eu meurtre.
    — Je n’étais pas témoin. On m’a appelé pour assister un mourant. Dieu le sait, seigneur Giraut, comme j’ai assisté ceux qu’il a fait pendre, je l’aiderai, lui, c’est mon métier. Mais avec la justice, débrouillez-vous, je ne m’en mêle pas. »
    Haguenier, qui était toujours à genoux aux pieds de son père, se leva, et s’approcha du feu.
    « Mon père, c’est moi qui ai fait cela. Je ne veux pas non plus me dérober à la justice ni rien de semblable. Mais vous avez déjà vu beaucoup de mourants : croyez-vous qu’il soit si mal ?
    — Je n’en sais rien. Des mourants comme lui, je n’en ai pas vu, rien que de pauvres gens. Vous autres, vous êtes d’une autre espèce. Il faut croire qu’il n’en est pas encore à la mort, puisqu’il refuse la confession. »
    Haguenier baissa la tête, et alla s’agenouiller devant le coffre où était posé le calice. « Ô Seigneur qui êtes là, ô trésor de pureté et de vie, ô amour sans fin, par votre grande pitié aidez-nous. Notre malheur est plus grand que nous ne pouvons comprendre. Mon Dieu, ma vie est finie si cela arrive, mon Dieu, guérissez-le. Mon Dieu, tout est fini, je ne demanderai plus rien que sa vie à lui. »
    Ortrud était descendue de la chambre des femmes et avait réussi à faire boire à Herbert un bol de tisane mêlée d’opium ; il s’était assoupi. La jeune femme, assise sur les peaux à côté de lui, lui caressait les cheveux en chantonnant des chansons allemandes.
    Matines sonnaient à Hervi lorsque la dame arriva, tout essoufflée et couverte de neige, le nez rougi par le froid. Elle laissa tomber sa cape par terre et, après avoir jeté un instant les yeux sur le malade assoupi, elle courut vers le prêtre, toujours assis près du feu.
    « Mon père, s’est-il confessé ? Est-il vraiment si mal ?
    — Demandez-le à cette fille perdue qui est là près de lui, dit le curé. Il n’a pas voulu me parler. »
    La dame, toute tremblante, s’approcha du lit improvisé où Herbert était étendu. Il dormait, la tête renversée en arrière, et avec de grands coussins de plume sous les hanches. Ses cheveux et sa barbe, d’un

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