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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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tue ! »
    Ils se regardèrent, face à face, Herbert était si étonné de cette brusque colère chez un garçon d’habitude si pondéré qu’il ne se défendit pas tout d’abord. « Lâche-moi, fils de putain, dit-il, es-tu son amant, toi aussi ?
    — Je ne suis pas fils de putain ! » cria Haguenier. Ses yeux lançaient des étincelles et son visage était de marbre. « Tu veux la tuer comme tu as tué ma mère ! Tu as pris mon héritage, tu as déshonoré notre nom ! va-t’en d’ici !
    — Hein, dit Herbert, tu te crois déjà le maître. Petit serpent. » Et il leva la main pour frapper.
    Haguenier ne fit pas un geste pour s’écarter et reçut le coup en pleine figure, il chancela et s’accrocha à l’échelle, saignant du nez. Herbert se pencha sur la femme étendue à ses pieds, face contre terre ; elle ne bougeait pas, et son visage baignait dans une flaque de sang. Avec une grimace de haine et de dégoût, Herbert la souleva par les tresses et voulait de nouveau la jeter contre le sol. Alors, Haguenier le prit par les épaules et tous deux roulèrent à terre ; Herbert jurait terriblement. Giraut criait : « Séparez-les, au nom de Dieu ! »
    Tout se passa avec une telle vitesse que personne ne put dire, plus tard, ce qui était arrivé exactement : ils étaient de nouveau debout, à quelques pas l’un de l’autre, près de la cheminée. Et devant la cheminée, il y avait de lourds chenets de fer, réunis par une grande barre à une coudée du sol. Herbert se jeta sur son fils, et l’autre, d’un grand coup de coude en pleine poitrine, le renversa en arrière, et Herbert tomba de tout son poids sur la barre des chenets.
    Il poussa un faible cri, comme un hoquet très profond, et glissa assis par terre, les épaules contre la barre. Il paraissait simplement étourdi par le coup, et son visage était d’une pâleur grisâtre. Haguenier courut à lui : « Père, vous ai-je fait mal ? » Herbert l’écarta d’un geste de la main ; un étonnement sans bornes se lisait dans ses yeux larges ouverts. Il regardait ses jambes et se tâtait le dos. « Sang de Dieu !… dit-il. Giraut, aide-moi, que diable. Tas de bâtards. » Giraut, Haguenier et deux valets le prirent par les bras pour l’aider à se relever. Il était si lourd qu’ils n’arrivaient pas à le mettre debout : ses jambes, flasques et inertes, traînaient à terre. Il haletait et s’agrippait de toutes les forces de ses bras aux épaules des hommes qui le tenaient. « C’est bizarre, dit-il, je ne sens pas mes jambes. Couchez-moi par terre, et appelez Jacques le Barbier. »
    Des peaux et des coussins furent étendus par terre près du feu. Herbert y fut allongé, la tête soutenue par un traversin de cuir, les bras écartés en croix. Il respirait avec peine et regardait devant lui d’un air égaré. Il ne semblait pas avoir conscience de ce qui se passait autour de lui.
    Les femmes hissaient sur l’échelle dame Aelis évanouie, sa tête sanglante enveloppée d’un linge mouillé. Les hommes se pressaient autour de la cheminée, regardant avec inquiétude cet énorme corps immobile aux bras écartés, et ne comprenaient pas ce qui venait d’arriver ; il y avait quelques instants à peine, c’était une soirée d’hiver comme une autre, dont personne ne se serait jamais souvenu. Et voilà, l’irréparable était fait si vite qu’on n’avait pas eu le temps de le voir venir. Le maître n’avait pas eu le temps de rentrer, de se réinstaller dans ses droits, que, déjà, il était comme rejeté dehors, transformé en une chose sans défense dont on ne savait quoi faire.
    Et tous ces hommes qui, depuis des années, étaient habitués à ne plus avoir de volonté en présence d’Herbert, se sentaient désemparés comme si eux-mêmes avaient reçu un coup dans le dos. Jacques le Barbier se baissa sur son maître, tout tremblant, sentant que c’était sur lui qu’allait se déverser à présent la colère du blessé.
    Mais Herbert le regarda à peine, il n’eut pas l’air de le reconnaître. Puis il dit, d’une voix étouffée : « Tu vas me saigner aux deux pieds, et vite. Ah ! quelles gens, sang de Dieu ! il faut tout leur dire. »
    Haguenier, à genoux près de son père, le regardait dans les yeux avec anxiété. « Père, vous souffrez beaucoup ? Vous voulez peut-être du vin pour vous remonter ? » Herbert ne l’écoutait pas, il fronçait les sourcils, comme pour essayer de

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