La pierre et le sabre
pas,
hein ?
Elle essayait d’être logique en
son argumentation mais ses larmes la trahirent. D’abord abandonnée toute
petite, puis plantée là par son fiancé, et maintenant ceci. Musashi, sachant
comme elle était seule au monde et très attaché à elle, ne savait que répondre,
bien qu’il fût extérieurement plus calme.
— Lâche-moi !
répéta-t-il d’un ton sans réplique. Il fait plein jour, et l’on nous regarde.
Veux-tu donc nous donner en spectacle ?
Elle lâcha sa manche et s’effondra
en sanglotant contre le parapet, ses cheveux lustrés lui tombant sur le visage.
— Pardon, murmura-t-elle. Je
n’aurais pas dû te dire tout cela. Je t’en prie, oublie-le. Tu ne me dois rien.
Penché sur elle, écartant des deux
mains ses cheveux de son visage, il la regarda dans les yeux.
— Otsū, lui dit-il avec
tendresse, durant tout ce temps où tu m’attendais, jusqu’à aujourd’hui même, j’ai
été enfermé dans le donjon du château. Voilà trois ans que je n’ai pas vu le
soleil.
— Oui, je l’ai entendu dire.
— Tu savais ?
— Takuan me l’a dit.
— Takuan ? Il t’a tout
dit ?
— Je le crois. Je me suis
évanouie au fond d’un ravin près de la maison de thé Mikazuki. Je fuyais Osugi
et l’oncle Gon. Takuan m’a secourue. Il m’a aussi aidée à me placer ici, chez
le marchand de souvenirs. Il y a trois ans de cela. Et il est passé me voir
plusieurs fois. Hier encore, il est venu prendre le thé. Je n’ai pas bien
compris ce qu’il voulait dire, mais il a dit : « C’est une affaire d’homme
et de femme ; aussi, qui sait comment ça tournera ? »
Musashi lâcha Otsū, et
regarda la route qui menait vers l’ouest. Il se demanda s’il reverrait jamais l’homme
qui lui avait sauvé la vie. Et de nouveau, il fut frappé par la sollicitude de
Takuan envers son prochain, sollicitude qui paraissait tout embrasser et être
entièrement dépourvue d’égoïsme. Musashi se rendit compte de sa propre
étroitesse d’esprit, de sa propre mesquinerie à supposer que le moine éprouvait
pour lui seul une compassion particulière ; sa générosité englobait Ogin, Otsū,
tous ceux qui se trouvaient dans le besoin et qu’il croyait pouvoir aider.
« C’est une affaire d’homme
et de femme »... Les paroles de Takuan à Otsū pesaient lourdement sur
l’âme de Musashi. Il s’agissait là d’un fardeau pour lequel il était mal préparé :
dans les montagnes de livres qu’il avait étudiés durant ces trois ans, pas un
mot ne concernait la situation où il se trouvait maintenant. Takuan en personne
avait craint de se trouver mêlé à cette affaire entre lui et Otsū. Le
moine avait-il voulu dire que seules, les relations entre hommes et femmes
devaient être résolues par les personnes en cause ? Voulait-il dire qu’aucune
règle ne s’y appliquait, comme elles s’appliquaient dans l’Art de la guerre ?
Qu’il n’y avait aucune stratégie infaillible, aucun moyen de gagner ? Ou
bien s’agissait-il pour Musashi d’une épreuve, d’un problème que seul Musashi
serait capable de résoudre ?
Perdu dans ses pensées, il
baissait les yeux vers l’eau qui coulait sous le pont.
Otsū leva les siens vers son
visage, maintenant calme et lointain.
— ... Je peux venir, n’est-ce
pas ? supplia-t-elle. Le boutiquier m’a promis de me laisser partir quand
je voudrais. Je vais tout lui expliquer, et faire mes paquets. Je reviens dans
une minute.
Musashi couvrit sa petite main
blanche, qui reposait sur le parapet, avec la sienne.
— Ecoute, dit-il
plaintivement. Je te supplie de réfléchir un instant.
— Réfléchir à quoi ?
— Je te l’ai dit. Je viens de
devenir un homme nouveau. J’ai passé trois années dans ce trou moisi. J’ai lu
des livres. J’ai pensé. J’ai crié, pleuré. Puis, soudain, une lumière s’est
levée. J’ai compris ce que cela veut dire que d’être humain. Je porte un
nouveau nom, Miyamoto Musashi. Je veux me consacrer à l’entraînement et à la
discipline. Je veux passer tous les instants de tous les jours à travailler à
mon amélioration personnelle. Je sais maintenant jusqu’où il me faut aller. Si
tu choisis de lier ta vie à la mienne, jamais tu ne seras heureuse. Il n’y aura
que des épreuves, et cela ne deviendra pas plus facile avec le temps. Cela
deviendra de plus en plus difficile.
— Quand tu parles ainsi, je
me sens plus proche de toi que jamais. J’ai maintenant
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