La pierre et le sabre
la conviction que j’avais
raison. J’ai trouvé le meilleur homme que je pouvais jamais trouver, même en
cherchant tout le restant de mes jours.
Il vit qu’il faisait fausse route.
— Je regrette, je ne puis t’emmener
avec moi.
— Eh bien, alors, je me
contenterai de te suivre. Aussi longtemps que je ne gêne pas ton entraînement,
quel mal y a-t-il à cela ? Tu ne sauras pas même que je suis là.
Musashi ne savait que répondre.
— ... Je ne t’ennuierai pas.
Je te le promets.
Il gardait le silence.
— ... Alors, ça va, n’est-ce
pas ? Attends-moi ici ; je reviens dans une seconde. Et je serai
furieuse si tu essaies de t’échapper.
Otsū s’élança vers la
boutique de vannerie.
Musashi pensa tout planter là et s’élancer
lui aussi, dans la direction opposée. Il en avait bien la volonté mais ses
pieds restaient cloués au sol.
Otsū, se retournant, cria :
— ... Souviens-toi, n’essaie
pas de t’échapper !
Elle sourit en montrant ses
fossettes, et Musashi, par inadvertance, fit « oui » de la tête.
Satisfaite de ce signe, elle disparut dans la boutique.
S’il voulait s’enfuir, c’était le
moment. Son esprit le lui disait, mais son corps se trouvait encore entravé par
les jolies fossettes et les yeux suppliants d’Otsū. Qu’elle était donc charmante !
Certes, personne au monde, à l’exception de sa sœur, ne l’aimait à ce point. Et
elle ne lui déplaisait pas.
Il regarda le ciel, il regarda l’eau,
désespérément agrippé au parapet, troublé, confus. Bientôt, de minuscules
morceaux de bois, tombés du pont, se mirent à flotter dans le courant.
Otsū reparut sur le pont ;
elle portait des sandales neuves en paille, des guêtres jaune clair et un grand
chapeau de voyage, attaché sous le cou par un ruban cramoisi. Jamais elle n’avait
été plus belle.
Mais Musashi avait disparu.
Elle poussa un cri d’étonnement,
et fondit en larmes. Puis son regard tomba sur l’endroit du parapet d’où les
copeaux de bois s’étaient détachés. Là, gravé avec la pointe d’un poignard, un
message se lisait clairement : « Pardonne-moi. Pardonne-moi. »
Livre II L’EAU
L’école Yoshioka
La vie d’aujourd’hui, qui ne
peut connaître le lendemain...
Dans le Japon du début du XVII e siècle, la conscience du caractère
éphémère de la vie était aussi répandue parmi les masses que parmi l’élite. Le
fameux général Oda Nobunaga, qui prépara le terrain pour l’unification du Japon
par Toyotomi Hideyoshi, résuma cette idée en un court poème :
Les
cinquante années de l’homme
Ne
sont qu’un songe évanescent
En
son voyage à travers
Les
transmigrations éternelles.
Vaincu dans une escarmouche avec
un de ses propres généraux qui l’attaqua soudain par vengeance, Nobunaga se
suicida à Kyoto, à l’âge de quarante-huit ans.
En 1605, environ deux décennies
plus tard, les guerres incessantes entre les daimyōs avaient pratiquement
cessé, et Tokugawa Ieyasu gouvernait en qualité de Shōgun depuis deux ans.
Les lanternes brillaient dans les rues de Kyoto et d’Osaka, comme elles avaient
brillé aux meilleurs temps du Shōgunat d’Ashikaga, et l’humeur dominante
était à l’insouciance et à la fête.
Mais peu de gens avaient la
conviction que cette paix durerait. Plus d’un siècle de guerre civile faisait
qu’ils ne pouvaient considérer la tranquillité présente que comme fragile et
fugace. La capitale était prospère, mais le fait d’ignorer combien de temps
cela durerait aiguisait l’appétit de plaisirs.
Bien que toujours au pouvoir,
Ieyasu avait officiellement renoncé à l’état de Shōgun. Encore assez
puissant pour dominer les autres daimyōs et défendre les prétentions de sa
famille, il avait transmis son titre à son troisième fils, Hidetada. L’on
murmurait que le nouveau Shōgun se rendrait bientôt à Kyoto pour présenter
ses respects à l’empereur, mais chacun savait que son voyage dans l’Ouest
serait plus qu’une visite de courtoisie. Son plus grand rival en puissance,
Toyotomi Hideyori, était le fils de Hideyoshi, le valeureux successeur de
Nobunaga. Hideyoshi avait fait de son mieux pour assurer que le pouvoir demeurât
aux mains des Toyotomi jusqu’à ce que Hideyori fût en âge de l’exercer, mais le
vainqueur de Sekigahara était Ieyasu.
Hideyori résidait toujours au
château d’Osaka, et bien que Ieyasu,
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