La pique du jour
et l’irai voir rien
que pour le déprouver !
À quoi mon Miroul sourit et s’accoisa. Et belle lectrice,
vous qui par le pimplochement, les atours et les affiquets fourbissez vos armes
avant les encontres qui vous paraissent pour vous de la plus grande
conséquence, vous pouvez bien penser que, si différents que nous soyons, vous
et moi – la logique d’Aristote n’ayant pas fait les mêmes petits dans
votre tendre tétin et dans mon rude poitrail –, j’agis, en ce prédicament,
tout justement comme vous l’eussiez fait vous-même et recommençai ma toilette
de la tête aux pieds, me fis laver à grands seaux d’eau par Guillemette,
testonner le cheveu par Lisette, me vêtis d’un autre pourpoint, en bref, lissai
mon plumage de haut en bas, et me parfumai, en outre, afin que de chasser
jusqu’à la remembrance de cette mauvaise sueur d’angoisse dont cette écorne
m’avait inondé. Et montant à cheval (pour ne point me crotter par les rues), le
géantin Franz à mes côtés, je trottai jusqu’à l’hôtel de la duchesse devant
lequel m’arrêtant, je démontai, jetai la bride à Franz et m’adressant au
laquais, lui aussi géantin, qui gardait la porte, je lui dis (le connaissant
fort bien) :
— Picard, annonce-moi à ta maîtresse.
— Monsieur le Marquis, dit Picard, sur le roux visage
duquel se peignait au plus vif le plus grand embarras, je ne peux. Madame la
Duchesse n’est point chez elle.
— Picard, dis-je en parlant très à la fureur mais à
voix basse et m’approchant de lui à le toucher, ne me mens pas, ou sur mon
salut je mets ma dague au poing et je fais de la dentelle avec tes
tripes ! Elle est chez elle ! Je le sais !
— Monsieur le Marquis, dit Picard, sa face rouge piquée
de taches de rousseur pâlissant prou, mais sans qu’il perdît rien de sa
rustique dignité, c’est bien malvenu à vous de me menacer : je suis un bon
serviteur et je ne dis que ce qu’on me commande de dire.
— À savoir, dis-je, que la duchesse ne sera plus jamais
chez elle quand je me présenterai à sa porte ?
À cela Picard, m’envisageant d’un air très effrayé,
s’accoisa, mais son silence répondit pour lui, et moi, l’œil collé sur sa face,
j’eus bel et bien appétit – je rougis de le confesser ! – de le
daguer sur l’heure, comme on dit que faisaient les empereurs de Rome aux
messagers des mauvaises nouvelles. Et ce qui me retint alors – dois-je
l’avouer aussi, tant la chose est absurde ? – ce furent ses taches de
rousseur qui tout soudain me ramenturent mon gentil frère Samson.
— Ha ! Picard ! dis-je d’une voix sans timbre
en baissant la tête, il ne serait guère juste, en effet, de te tenir grief de
faire ton commandement et de servir au mieux ta maîtresse. Voici une petite
obole pour te consoler du déconfort que je t’ai donné.
Quoi disant, je lui mis un écu dans la main et, trébuchant,
pour ce que le dol m’enlevait quasiment l’usance de mes yeux, je remontai à cheval
et aurais failli, je crois, à regagner mon logis, si Franz, discernant mon
état, n’avait pris ma jument par la bride pour la guider.
— Ha ! Miroul ! dis-je en me jetant derechef
sur le cancan, au comble du désespoir, tout est perdu ! La duchesse a donné
l’ordre à ses laquais de me repousser de sa porte.
— Perdu ! dit Miroul avec un de ses aggravants
sourires, fi donc ! Rien n’est jamais perdu, Moussu, hors la vie. Si notre
roi Henri avait raisonné comme vous, il n’aurait jamais pris Laon. La belle a repoussé
ce premier assaut. Il faut donc en lancer tout de gob un second. Croyez-vous
que nous allons vaincre sans coup férir ? Franz, holà ! L’écritoire,
je te prie !
— Mais que lui écrirai-je ? dis-je d’une voix sans
force.
— Que vous la voulez à toutes forces voir, ne serait-ce
que pour qu’elle vous dise la raison de votre disgrâce !
Ce que je fis sur l’heure, et mon Miroul ayant calculé le
poulet, appela un de mes pages (Luc, si bien je me ramentois) et, avec de
grands jurements, lui promit de lui rougir le cul et la peau du dos à coups de
fouet, s’il n’allait courre porter ce billet en toute diligence, sans languir
en route ni muser, ne revenant qu’avec la réponse, mais tout de gob. Auxquelles
terribles menaces, j’ajoutai la promesse d’un écu, si je le revoyais réponse en
main, en moins d’une demi-heure.
— Ha ! Moussu, dit Miroul, dès que Luc eut
disparu, vous m’allez gâter
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