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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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que, Miroul ayant redressé ma voilure, je reprenais
la capitainerie de mon âme, et me trouvais de nouveau à même de diriger ma
barque. Et tout soudain, en effet, je me sentis comme indigné contre moi-même
d’avoir été jusque-là si larmoyeux et si déboussolé. Aussi bien commençai-je,
passé la première désespérance, à me rebéquer contre la suite d’affronts qui
m’avaient été faits, et à trouver insufférable le pied fourchu qui avait poussé
à mon bel ange à cette occasion. Et comprenant que mon premier billet s’était
trouvé se peut un peu trop doux et suppliant pour désarmer l’ire de ma dame, je
me résolus à donner un peu plus de raideur et de hauteur à ma voix, afin que
d’être par elle davantage écouté.
    — Monsieur l’Écuyer, dis-je avec un affectionné
sourire, me ferez-vous la grâce d’oublier que vous êtes de présent
M. de La Surie et de prendre une lettre sous ma dictée ?
    — Monsieur de La Surie, dit Miroul, aime à se
ramentevoir qu’il fut votre secrétaire et ne croit point déchoir en l’étant
derechef.
    — La grand merci à toi, Miroul. Voici le poulet :
Madame.
    — Quoi ? dit Miroul. Madame sans queue ?
Point de « Duchesse » ?
    — Point de duchesse. Je poursuis.
     
    Madame,
     
    Quand Monsieur le Duc de Guise à Reims, ayant enfoncé
son épée dans le poitrail de Monsieur de Saint-Paul la laissa échapper de sa
main, le « méchant » dont vous parlez détourna de la sienne la lame
du Baron de La Tour et garda un fils chéri à vos affections.
    Quant au « traître » auquel vous faites allusion,
dès l’instant où vous lui donnâtes votre amitié, il renonça incontinent à tout
autre lien pour être adamantinement fidèle à votre personne. Quiconque vous
aura dit le contraire aura menti et pour peu que j’apprenne son nom, je lui
ferai rentrer sa menterie dans son gargamel.
    Je pars demain pour ma seigneurie du Chêne Rogneux, où une
intempérie de mon majordome me fait une obligation de me rendre pour surveiller
la rentrée de mes moissons. Mais si vous avez appétit, avant mon département, à
corriger le soupçon d’ingratitude et d’injustice que j’ai pu à votre endroit
concevoir après de répétées et injustifiées écornes, je serai en mon logis
jusqu’à la fin de la journée et votre réponse me trouvera tel que je suis
toujours et désire demeurer :
    Votre humble, obéissant et affectionné serviteur.
    Pierre de Siorac.
     
    — Voilà qui est chié chanté ! dit Miroul.
    — Je ne sais, dis-je. N’est-ce pas un peu roide ?
    — Point du tout. Comment la dame croira-t-elle à votre
innocence, si vous ne faites pas quelque peu l’offensé ? Toutefois, si
j’étais vous, je rhabillerais cette lettre de votre écriture. La mienne
pourrait piquer la duchesse dans une aussi délicate affaire.
    J’acquiesçai et, m’attablant devant l’écritoire, je récrivis
le poulet de ma main, observant, non sans contentement, qu’elle ne trémulait plus.
    — Franz, dit Miroul, appelle-moi Luc.
    Ce fut Thierry qui se présenta, lequel, au seuil de ses
quatorze ans, mignon blondinet qu’il fût, l’œil azuréen et l’aurore sur ses
joues, était dans la rue du Champ Fleuri, et dans les rues circonvoisines, le
plus grand coqueliqueur de la création.
    — Je n’ai pas demandé Thierry, mais Luc, dit Miroul en
sourcillant.
    — Monsieur l’Écuyer, dit Thierry avec un gracieux
salut, Luc et moi nous avons opiné en toute justice et raison, que s’il y a une
chance derechef de gagner un écu en faisant le vas-y-dire, c’est bien
mon tour de le courir.
    — Cornedebœuf ! Quelle effronterie ! gronda
Miroul.
    — Va, va, Thierry ! dis-je en riant à gueule bec,
pour une fois, je te pardonne. Et pour une fois je te baillerai un écu, à toi
aussi, pour peu que tu m’apportes réponse en moins d’une demi-heure.
    — Monsieur le Marquis, dit Thierry, l’air aux anges, je
serai de retour céans dans le quart d’une demi-minute.
    Ayant dit, il prit le poulet, voleta dans la pièce comme une
hirondelle et s’enfuit.
    — Ha ! Moussu ! Moussu ! s’écria Miroul.
Vous me gâtez ces galapians !
    — Laisse, mon Miroul ! dis-je. Il m’a fait rire.
    Mais tandis que les minutes passaient, le rire se gela sur
mes lèvres, et marchant qui-cy qui-là dans la pièce, je ne me trouvais même
plus assez de salive en bec pour parler.
    — Moussu, dit Miroul, qu’est cela ? Vous ne pipez
plus

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