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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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comme
abbesse au couvent. Pardonne-moi, mais je vais de ce trot entretenir Fogacer.
    — Lequel, dit Miroul, n’a pas à chasser après les
occasions. Il les amène avec lui. Les bougres, poursuivit-il en baissant la
voix, ont bien de la chance. Tout leur est plus facile.
    — Quoi ? dis-je, une pique encore ! Fogacer
aussi reçoit son paquet ! Mon Miroul, la chasteté t’aigrit. Je te verrai
un peu plus tard.
    Et retenant ma monture, j’allai retrouver Fogacer et me
mettre au botte à botte avec lui. Toutefois, au bout d’une demi-heure, Miroul
nous vint rejoindre, gai et gaussant comme à son ordinaire.
    Avant que d’atteindre Rome, nous couchâmes huit nuits encore
en chemin ès auberges diverses, les unes bonnes, les autres médiocres assez,
mais pour moi, accommodé comme on l’a vu, à ce jour encore je garde une
délicieuse remembrance de nos étapes italiennes.
    Au contraire de ce que nous avions encontré dans d’autres
villes de ce pays dont nous avions demandé l’entrant, la douane papale, aux
portes de Rome, fut adamantinement sévère : elle fouilla jusques aux plus
petites pièces de nos hardes, fit un dénombrement exact de nos armes, et se
saisit de tous nos livres, les miens et ceux de Fogacer, pour les visiter. Ce
qui prit deux grands jours, au bout desquels un bon père patelin assez, mais
qui sentait à deux lieues l’inquisition, dit à Fogacer qu’il lui retiendrait
son livre d’heures, pour ce qu’il était de Notre-Dame de Paris, et non de
Saint-Pierre de Rome, et adonc, par là même, leur était suspect. Ce qui laissa
notre pauvre abbé béant, et plus encore, qu’on lui retînt un livre de Simler
intitulé la République des Suisses.
    —  Ce n’est pas, dit le père, que nous ayons quoi
que ce soit contre Simler qui est bon catholique, ni contre son livre qui est
d’une parfaite innocuité. Mais le livre est traduit en français, et son
traducteur est hérétique.
    — Mais, dit Fogacer, son nom n’est même pas mentionné
sur la page de garde.
    — Nous savons toutefois qui il est, dit le père, et à
quel moulin il va moudre son grain. C’est un huguenot de Genève.
    — Mon père, dit Fogacer d’un air modeste, j’admire la
science que vous avez des hommes.
    — Il le faut bien, dit le père, la crête haute :
nous faisons des huguenots, et en particulier de ceux qui se mêlent d’écrire,
des dénombrements très entiers, afin d’éviter que leur peste ne vienne
contaminer nos ouailles. Pour cette raison, Signor Marchese, dit-il en
se tournant vers moi, je retiendrai les Essais de Montaigne, lesquels ne
vous seront rendus qu’à votre département de Rome.
    — Mais, dis-je, j’ai ouï dire que Michel de Montaigne
avait soumis son livre à vos censures.
    — Desquelles, toutefois, il n’a pas toujours tenu
compte en rééditant son livre. Ainsi vois-je qu’aux livres I et II, il parle
toujours de George Buchanan comme d’un « grand poète écossais ».
    — Eh bien, dis-je, où est le mal ?
    —  Signor Marchese, dit le père du ton paternel,
patient et supérieur avec lequel il aurait parlé à un enfant, le mal est
considérable. Buchanan est un hérétique. Il ne saurait donc être un grand
poète.
    Ceci me clouit le bec à jamais, hormis toutefois en les
pages de ces Mémoires et je fis mon deuil des Essais, du moins tout le
temps que je demeurai dedans Rome.
    — Vous voilà, dit Fogacer, quand nos coffres reclos sur
nos hardes, le père nous eut avec sa bénédiction (et non sans que lui ayons
graissé pieusement le poignet) baillé l’entrant de Rome, vous voilà, mi
fili, tristement orphelin de votre Montaigne.
    — Lequel, toutefois, dis-je, eut raison de ne pas
concéder ce point à la censure papale. Il ne fit qu’en gausser quand je
l’encontrai à Blois. Défendre d’écrire que Buchanan est grand poète pour la
raison qu’il se trouve hérétique, est, soutient-il, «  une façon merveilleusement
vicieuse d’opiner. Faut-il, ajouta-t-il, si une garce est putain,
qu’elle soit aussi punaise ? » Par punaise, il entendait puante.
    —  Et par putain entendait-il protestant  ?
dit Fogacer.
    — Nenni, dis-je, ma lame encontrant sa lame à mi-chemin
et la toquant, par putain, il entendait bougre…
    —  Messieurs ! Messieurs ! dit
La Surie, il est de certains mots qu’il est disconvenable de prononcer en
ces murs.
    Quant à ce qui était dedans les murs, à savoir la Ville
éternelle, laquelle ne l’est pas

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