Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
respectera une carrosse dorée aux rideaux clos, suivie d’une forte escorte.
    La carrosse, qui valait bien en effet celle du cardinal
Giustiniani, étant magnifiquement sculptée et dorée, et le capitonnage de
velours rouge à l’intérieur paraissait neuf : digne écrin pour Alfonso et
pour moi-même qui, en ma plus belle vêture, rutilai de tous mes feux, portant
même en sautoir le collier de l’Ordre du Saint-Esprit que le roi m’avait
conféré après Laon.
    — Qu’est cela ? dit Alfonso, dès qu’il jeta l’œil
sur lui. Peut-on rêver plus galante chose ? Benoîte Vierge, cette
concaténation de petits carrés d’or si délicatement ouvragés ! Et cette
admirable croix garnie en ses pointes de perles !
    — C’est, dis-je, un ordre de chevalerie d’inspiration
catholique créé par Henri Troisième. Et le piquant de l’affaire, c’est que le
créateur de cet Ordre, qui était lui-même très dévot, fut plus tard excommunié
par un pape et occis par un moine.
    — Ce collier augmentera prou vos chances, dit Alfonso.
Il vous donne une grande dignité et la pasticciera y sera fort sensible.
    — Mes chances, Alfonso ! dis-je souriant. Cours-je
donc le risque de n’être point agréé ? Je confesse que jusqu’ici je
nourrissais peu de doutes sur l’issue de ma présentation. J’y voyais une façon
de me contraindre à faire cette cour « à l’italienne » qui, à mes
propres yeux, comme à ceux, sans doute, de Teresa, devait jeter un pudique
voile sur le barguin cru et nu qui allait régir nos rapports.
    —  Signor Marchese, dit Alfonso gravement, plaise
à vous de m’excuser, si je vous dis que vous êtes tombé, là-dessus, en très
grande erreur. Vous avez vos chances, assurément, mais pour le remplacement de
l’amant défunt, vous n’êtes pas le seul en lice et aucun des champions qui à
vous s’oppose n’est à dépriser.
    — Tu m’appuies, toutefois, Alfonso…
    — Et croyez-moi, Signor Marchese, vous êtes le
seul que j’appuie. Mais encore faut-il tenir à compte que la pasticciera est une femme et que souvent la femme agit a capriccio [73] . J’ai vu Teresa rebuter un
prétendant parce qu’elle le trouvait trop humble. Et un autre, parce qu’elle le
trouvait trop arrogant. Elle pèse les mérites d’un homme dans des balances qui
n’appartiennent qu’à elle, je vous l’ai dit.
    — Je serais au désespoir, dis-je souriant toujours,
mais en mon for très alarmé, si la pesée me trouvait quelque peu en deçà des
carats qui sont d’elle exigés.
    — Vos chances sont bonnes, reprit Alfonso après un
moment de silence, la meilleure étant que vous êtes français. Les Italiens ont
une ancienne affection et révérence à la France, lesquelles la haine de
l’omniprésence espagnole a depuis peu excessivement ravivées.
    La maison de la Signora Teresa n’était pas moins palatiale
que celle de Giustiniani, et tout aussi bien gardée, car il fallut qu’Alfonso
descendît et allât montrer patte blanche au judas de l’huis pour que la porte
cochère se déclouît devant ma carrosse. Il va sans dire qu’une fois dedans la
cour, je graissai dûment le poignet, et au portier, et à celui qui paraissait être
en autorité parmi les valets, et à la cameriera qui m’introduisit en la
demeure, fort accorte Mauresque, brune de cheveu, d’œil et de teint, mais très
blanche de dents et si délicieusement faite, quoique petite, qu’avant même de
voir sa maîtresse, l’eau vous en venait à la bouche. À recevoir mon obole, elle
me fit, courbe sur courbe, une fort gracieuse révérence, m’espinchant de côté
d’un regard connivent, et paraissant tout autant satisfaite de mon œil
admiratif que de mes clicailles.
    —  Signor Marchese, dit-elle dans un italien fort
gazouillé, ma maîtresse est à sa toilette et ne pourra vous recevoir que dans
une petite demi-heure. Plaise à vous, en attendant, de vous entretenir avec la
mamma.
    Quoi disant, elle nous mena dans une petite salle où,
quelques instants plus tard, nous vint rejoindre une signora d’une cinquantaine
d’années, petite, mais fort vigoureuse, avec un poitrail qui ne devait pas qu’à
ses tétins d’être bombé, le bras musculeux, la gambe courte, mais pour ce que
j’en voyais, musculeuse aussi, la face pleine, la mâchoire carrée, la lèvre
gourmande, le front grand bordé d’une forêt de cheveux noirs quasi crêpés et
des yeux fort larges soulignés par des cernes. Elle me

Weitere Kostenlose Bücher