La pique du jour
plut de prime, pour ce
qu’elle me ramentut ma bonne nourrice Barberine, paraissant comme elle bâtie à
chaux et à sable, se peut comme elle aussi colérique et d’humeur résolue, mais
non sans quelque lait de tendresse en sa composition. Je lui fis un grand salut
et, avec des phrases fort civiles, la priai d’accepter de moi un modeste
présent, à savoir une broche contenue dans un écrin, lequel écrin elle accepta,
mais sans le déclore, et posa sur une table en marbre. Après quoi, elle croisa
ses deux mains potelées sur son ventre, et d’un œil noir fort aigu, me détailla
sans mot dire de cap à pied. Cet examen terminé, elle me pria de m’asseoir, et
s’enquit en termes concis de mon âge, de ma santé et de ma religion, désirant
surtout savoir si j’avais eu quelque démêlé avec l’inquisition à Rome.
Quant à cette dernière question, Alfonso répondit pour moi.
— Il signor marchese, dit-il, est un protégé du
cardinal Giustiniani, et comme j’ai jà eu l’honneur de dire à la Signora
Teresa, il loge dans son palais.
— Voilà qui va bien, dit la mamma, et avec un souris et
un salut des plus brefs, elle sortit de la petite salle en nous disant qu’elle
nous viendrait chercher, quand la Signora Teresa serait prête.
— Cornedebœuf ! dis-je quand elle fut départie,
que voilà une formidable matrone, et comme j’aimerais peu être par elle
honni !
— Ma tutt’altro [74] , dit
Alfonso. Vous lui plaisez prou, et la preuve, c’est qu’elle vous a souri.
— Petitement.
— La Signora ne baille rien facilement, pas même un
souris ; c’est une garce du plat pays toscan, et donc dure comme la vie
qu’elle y a menée. Cependant, sous la croûte, la mie est bonne.
Ayant dit, il me salua, me dit qu’il serait présent à mon
entretien avec Teresa et, avec ma permission, qu’il désirait se retirer.
La petite salle dans laquelle je restais était tendue de
velours rouge, dallée de marbre et ne comportait que deux escabelles et une
table, elle aussi de marbre, sur laquelle la mamma avait oublié son écrin, mais
cet « oubli » ne voulait-il pas dire que ni sa fille ni elle ne
m’avaient encore accepté. Quoi observant, et incapable de rester assis, je
marchais qui-cy qui-là dans la pièce, à’steure les mains derrière le dos,
à’steure mordillant le bout de mes gants.
La « petite » demi-heure avait pris du ventre,
quand Djemila (c’était le nom de la Mauresque) me vint chercher. Elle avait
fait toilette elle aussi, son petit corps étant attifuré très joliment d’un
lamé d’argent qui la faisait ressembler à une sirène, hormis qu’on lui voyait
les pieds, lesquels étaient nus, pour la raison sans doute qu’elle nourrissait
pour les souliers une invincible antipathie. Elle me dit, tout œillades, souris
et dents blanches, que la Signora m’attendait, et me précéda, le pas dansant et
la hanche ondulante.
La salle où elle m’introduisit et que je veux décrire de
prime (encore que je ne la visse du tout à mon entrant, n’ayant d’yeux que pour
Teresa) était grande, tapissée de cuir doré, le plafond richement peint et
orné, et un fort beau tapis d’Orient jeté sur le sol de marbre. Mon œil étant
collé à Teresa, laquelle siégeait, non pas exactement sur un trône, mais sur un
cancan en bois doré, ce ne fut qu’au bout d’un moment que j’aperçus debout
derrière elle, et ses bras ronds et musculeux appuyés sur le dossier du
fauteuil, la mamma ; à la dextre du cancan, Alfonso, noblement assis sur
une escabelle ; et à sa senestre, bien qu’il y eût là une deuxième
escabelle, Djemila s’était accroupie en tailleur sur le tapis, l’œil noir fort
affûté, et de l’un à l’autre voletant.
Je m’avançai jusqu’au milieu de la salle et, m’arrêtant,
j’ôtai mon chapeau et, m’inclinant profondément, je balayai le tapis de mon
panache. Au même instant, le pensement me vint, non sans que j’en fusse quelque
peu ébaudi, que c’était là le genre de salut qu’un gentilhomme n’adressait qu’à
un duc, et encore fallût-il qu’il fût régnant, et qu’il eût droit à
« Votre Altesse » pour qu’on en vînt à ce degré de courbette.
Quoi fait, et la Signora Teresa m’ayant répondu par un
sourire gracieux et une inclinaison de tête véritablement royale, je dis en
italien :
— Signora, je suis grandement honoré qu’une
personne de votre distinction ait consenti à me recevoir.
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