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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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les mentors, régents et censeurs de ce monde, vous êtes le plus
insufférable !
    — « Monsieur l’Écuyer » ? dit Miroul en
levant un sourcil, et en souriant d’un seul côté du bec, Monsieur le Marquis,
pardonnez-moi, mais vous êtes en retard d’un titre : le roi a tant aimé,
et ma personne, et le récit que je lui ai fait de nos affaires romaines qu’il
m’a fait chevalier.
    — Ha, mon Miroul ! criai-je en courant lui donner
une forte brassée et couvrant ses joues de poutounes, voilà qui me fait presque
plus chaud au cœur qu’à ma bourse les vingt mille écus !
    — Ce n’est pas la même chaleur, dit Miroul, souriant
toujours. Et je n’oublie pas à qui, primordialement, je dois d’avoir échappé au
gibet et de m’avoir extirpé de ma boue.
    C’est le mercredi que j’encontrai en le palais quasi
jouxtant le mien les trois soutanes que j’ai dites en cet entretien où mon idée
d’une consultation au bec à bec des cardinaux (pardon de m’en paonner encore)
fit merveille. Et le dimanche suivant, soupant comme à l’accoutumée chez
Teresa, avec mes pairs (qui ne l’étaient que dans notre lien commun avec
l’hôtesse), j’eus avec deux d’entre eux des conversations en aparté tout à fait
dignes d’être consignées céans.
    Les apartés n’étaient point possibles durant le souper pour
ce que chacun était alors sous l’œil et sous l’ouïe des autres et autour d’une
table ronde qui ménageait les places autour de Teresa, selon un pointilleux
protocole, Giovanni Francesco, le neveu du pape, étant assis à sa dextre, le
Grand d’Espagne à sa senestre, moi-même à côté d’y-celui, le Bargello à
côté de Giovanni Francesco, et les deux Monsignori à la suite.
    Cette hiérarchie avait été finement pesée par la pasticciera, comme je m’en rendis compte en la questionnant là-dessus, alors même que
chacun des six se trouvait réputé par elle excellent en son genre propre et
particulier. Giovanni Francesco étant le plus élevé dans l’État ; Don Luis
le plus haut dans l’ordre de la noblesse ; moi-même, le plus
instruit ; le Bargello, le plus beau de face et de membre ;
les Monsignori les plus fols et les plus charmants. Teresa, craignant
sans doute de ne m’avoir fait la part belle assez, ajouta à mon oreille que
j’étais le meilleur amant, mais je la décrus, ayant conscience de ne lui rien
faire, en nos nuitées, qui passât les pratiques communes à toute l’humanité. Il
se peut, de reste, que dans sa native gentillesse de cœur, elle adressât le
même secret compliment à chacun des happy few.
    Après le souper, on passait dans une grande salle où,
debout, assis, ou marchant qui-cy qui-là, on était libre davantage de
s’entretenir avec la personne de son choix, Teresa elle-même allant et venant,
mais prenant garde de ne paraître négliger ni privilégier personne. Or, ce
dimanche que je dis, m’approchant de Don Luis, qu’elle venait de quitter, je lui
dis sotto voce :
    —  Don Luis, je vous confesse que je n’ai pas eu
l’audace jusqu’à ce jour de faire allusion devant vous à une affaire où,
d’après ce que j’ai ouï, j’eusse laissé mes bottes sans votre intervention.
    —  Señor Marqués, dit Don Luis, la face
imperscrutable, on vous a mal renseigné. La personne à laquelle vous devez de
la gratitude ce n’est pas moi, mais ma cousine, laquelle, toutefois, vous
seriez très imprudent, et pour elle et pour vous, de remercier par lettre ou de
vive bouche.
    — Mais comment cela s’est-il fait ? dis-je au
comble de l’étonnement.
    — Il semblerait que Doña Clara, ayant l’ouïe plus fine
que moi, aurait surpris une conversation pour vous très menaçante et, n’osant
se compromettre en allant toquer le heurtoir de votre porte, courut avertir
Teresa. Pour moi, je n’appris cela qu’après coup.
    — Doña Clara connaissait-elle donc Teresa ?
    —  Señor Marqués, dit Don Luis avec un sourire
froidureux assez, vous devez bien imaginer, connaissant la dévotion de Doña
Clara, sa hauteur naturelle et de plus, les sentiments quelle nourrit pour
vous, que le pensement même d’approcher une femme comme Teresa lui faisait
horreur. Toutefois, pour vous secourir, elle surmonta cette répugnance.
    — Don Luis, dis-je, fort ému, il me semble qu’il y a quelque
chose qui tient du sublime dans une action de ce genre. Ne pourriez-vous pas
dire à Doña Clara que je n’oublierai jamais ce qu’elle

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