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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Paris honorent sainte Geneviève. Et nous de
Reims vénérons saint Rémi. En outre, le négoce est rare et nous n’aimons pas
d’autres chiens près de nos écuelles.
    — Mais le guillaume que tu dis ?
    — Il ne nous portait pas ombrage, n’étant pas poisson
des mêmes eaux.
    — Qu’entends-tu par là ?
    — Je l’ai vu dans la suite du baron de La Tour.
    — Cap de Diou ! s’écria Pissebœuf, à qui derechef
je fis signe de s’accoiser, lui disant à haute voix d’aller quérir Péricard,
lequel, si tôt qu’il fut là, je prévins en latin de n’avoir l’air de s’étonner
de rien de ce que Malevault, sur mon ordre, allait lui répéter. Toutefois, le
pauvre Péricard ne put se retenir de pâlir, en particulier quand le nom de La
Tour fut prononcé, je dirai plus loin pourquoi.
    Ce Péricard, qui, ayant si fidèlement servi le père, servait
maintenant le fils, était un homme grand, bien fait, fort beau de face, quoique
le poil grison, courtois en ses manières, et au surplus, homme de beaucoup
d’esprit, d’adresse et de manège, très peu attaché à la Ligue, prou dévoué à la
maison des Guise, laquelle, pour sauver du désastre, il eût voulu, comme M me  de Guise,
accommoder au roi. Raison pour quoi, j’imagine, M. de Saint-Paul
avait ce jour attenté son assassination par le moyen d’une chaîne scélérate
dont le premier maillon s’appelait La Tour, le deuxième Bahuet, le troisième,
Malevault.
    Ledit Malevault, dès que Péricard fut parti instruire le prince
de Joinville du qu’est-ce et du comment de la chose, et demander pour moi un
entretien au bec à bec, me dit de sa voix rauque et basse, et souriant d’un
seul côté de la bouche :
    — Se pourrait bien que j’aie mis le pied dans tout un
nid de frelons. Mais que suis-je, moi, Monsieur mon maître ? Une épée.
Laquelle a fait de son mieux pour se mettre à votre main. Adonc suis-je
libre ?
    — Espère un peu. Le gautier qui t’a commandé d’expédier
ce gentilhomme t’a-t-il tout de gob payé ?
    — Que nenni. La moitié à la commande. La moitié après
l’exécution.
    — Tu perds donc cette moitié-là.
    — Oui-da. Cinquante écus.
    — C’est grosse perte.
    — Sans compter la navrure de mon bras dextre, dit
Malevault avec un mince sourire, mais par bonne chance je suis gaucher.
    — Quand vois-tu le gautier ?
    — Ce matin à six heures en l’église Saint-Rémi.
    — Se peut, dis-je, qu’il ne vienne pas seul.
    — Se peut que moi non plus, dit Malevault, sa lourde
paupière voilant à demi son œil.
    — Se peut que son pistolet soit plus prompt que ton
cotel.
    — Se peut, dit Malevault sans battre un cil.
    — Je n’aimerais pas cela, dis-je. Je plains les
dépenses que fait le baron de La Tour pour les hommes de sa suite. Ce gautier
que tu dis doit lui coûter fort cher.
    — Il lui en coûtera moins si vous m’y encouragez, dit
Malevault avec un petit brillement de l’œil.
    — À quelle aune ?
    — Cinquante écus.
    — Vingt-cinq : si ton cotel siffle dans l’air
avant sa balle, ses armes te feront une belle picorée.
    — C’est bien pensé.
    — Tope donc !
    Incontinent, je jetai mon escarcelle à Pissebœuf qui compta
à Malevault vingt-cinq écus. Après quoi, j’allai ouvrir moi-même au truand la
porte dérobée pour qu’il saillît hors.
    — Eh bien, Pissebœuf, dis-je quand je revins. Le
fera-t-il ?
    — Assurément. Ces mauvais garçons ont leur point d’honneur.
Et Moussu, n’est-ce pas calamiteuse coïncidence que nous retrouvions céans ce
Bahuet ?
    — Mais point du tout. Où pouvait-il aller, quittant
Paris ? Chez Mayenne ? Mais Mayenne déteste les Seize et en a
pendu quatre ou cinq pour l’exécution du président Brisson. Nenni, Nenni !
Bahuet ne se pouvait réfugier que chez le plus espagnol des archiligueux. Asinus
asinum fricat [8] .
    —  Paix à son âme, dit Pissebœuf, puisqu’elle est
pour perdre son corps. Toutefois Moussu, je m’étonne que vous, Marquis de
Siorac, qui êtes plus humain, bénin et chrétien que pas un fils de bonne mère
en France, vous commandiez son assassination !
    — Hélas, Pissebœuf, dis-je, encore que ma conscience
là-dessus me poigne prou, je vois bien qu’il faut en passer par là.
    Et à vous, belle lectrice, qui lisez les présents mémoires
je voudrais vous dire le pourquoi de ma décision, afin que vous ne perdiez pas
la bonne opinion que je voudrais que vous ayez de moi.

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