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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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sur mon bateau. Ni des
prédicateurs, d’ailleurs.
    — Je vous serais reconnaissant, capitaine, de brider
quelque peu votre langage. »
    Les épais sourcils noirs de Whelkington se mirent à
escalader son front. « Alors comme ça vous en êtes ? Vous faites du
lèche-cul aux bamboulas ? »
    Le regard de Thatcher demeura ferme et clair. « Moi
aussi, je peux retirer ma redingote, capitaine Whelkington. Je suis à votre entière
disposition, monsieur. »
    Ils poursuivirent leur chemin en silence : on lisait
chez Whelkington, sur les muscles de son visage, la lutte secrète entre ses
principes et sa bourse.
    Liberty, qui avait coutume lors des sorties familiales soit
de filer en avant soit de traîner derrière, et d’explorer à volonté le
voisinage immédiat de ses parents, prit son père par la main. Il ne cessait de
regarder par-dessus son épaule, attendant que bouge enfin ce tas humain affalé
à plat ventre dans la poussière. En vain.
    Le soleil, bien loin encore de son zénith, s’insinuait déjà
dans les affaires du jour : la chaleur croissante était comme un sirop
versé dans les rouages d’une horloge, fenêtres et briques du côté ouest
flamboyaient, l’air même semblait enfler à vue d’œil. Sur le quai, dans un
nuage moelleux et bouillant de pure blancheur, une équipe suante et jurante,
poudrée des cheveux aux semelles, faisait rouler des tonneaux de farine à bord
d’un bateau de la ligne de l’Est. Un vieux chariot à bois surgit à grand fracas,
où s’empilaient des pommes de terre fraîchement récoltées. Des commis
irascibles, le crayon derrière l’oreille, des élastiques aux manches, passaient
les portes des entrepôts d’un pas fébrile de souris. Dans un grand espace vide,
près d’une pyramide de barriques étiquetées « CLOUS », une presse
d’imprimerie flambant neuve luisait sombrement, en un isolement majestueux au
milieu du chaos des docks, fabuleuse et insondable, tel un objet tombé sans
crier gare des hauteurs d’un autre monde.
    Parvenu au Crésus, le capitaine Whelkington
s’immobilisa et brandit son poing au regard de Thatcher. « Vous voyez, je
me suis déjà éraflé les phalanges pour obtenir le privilège de vous
transporter. Vous êtes mon trophée, et Dieu m’est témoin que je n’ai pas
l’intention d’y renoncer. »
    Thatcher le gratifia d’un sourire ironique. « Je vais
donc devoir me battre avec vous pour faire valoir mon droit de ne pas être
transporté.
    — Si c’est dans votre manière, je suis partant, dit
Whelkington en l’évaluant froidement. Sinon, je ne vous demande qu’une faveur.
    — Soit, capitaine Whelkington. Et quelle
serait-elle ?
    — De la mettre en veilleuse sur mon bateau. J’ai à mon
bord des passagers payants et influents, des messieurs très sensibles, qui
risqueraient de mal digérer vos convictions. Vous croyez pouvoir éviter la
question nègre le temps du voyage ?
    — Je le peux, si les autres font de même. Mais je
préfère vous avouer, capitaine, ce que j’ai constaté au fil des années :
on a beau fermer les volets, barricader la porte, faire du feu dans la
cheminée, ce maudit sujet parvient toujours à entrer. Et si cela se produit, je
l’accueillerai à ma table.
    — Alors il nous faut peut-être des serrures plus
solides et des murs plus épais.
    — Ou une maison plus grande. »
    Une lueur de colère passa dans les yeux de
Whelkington ; puis, regardant vers l’autre rive, il dit : « Six
milles à l’heure. Vous allez voir. Il n’y a pas de malle plus rapide sur tout
le Grand Canal de l’Ouest. »
    Une fois en route, le Crésus altéra de son glissement
fluide la nature immédiate du monde : le câble de halage était tendu bien
droit jusqu’au trio de mules, au harnais agrémenté de plumets flottant au vent
et de cloches tintantes, qui avançait d’un pas synchrone et pesant sur le
sentier battu, sous la conduite d’un cocher qui serrait les rênes dans un poing
noueux et un long fouet dans l’autre ; le paysage environnant se divisait
en deux moitiés parfaites et défilait – pignon et brique, étang et
palissade, arbre et clairière – comme des décors de toile peinte, reculant
en une procession solennelle. Des arcs d’eau se déployaient à partir de la
proue en longues ailes ondulantes qui portaient des débris de lumière vers
l’endroit, loin à l’est, où le soleil finirait par se reconstituer pour le
spectacle de demain. On prenait à

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