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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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leurs serviteurs
souvent aussi bien vêtus que les maîtres. L’étrangeté absolue du système de
l’esclavage, du fait qu’un homme puisse littéralement en posséder un autre
comme s’il n’était qu’un chien ou un objet inerte et sans âme, semblait plus
singulière encore ici, en terre yankee. Comment avait-on pu en arriver là ?
Comment des gens par ailleurs bons et généreux pouvaient-ils tolérer en leur
sein cette cruauté, cette barbarie ? Elle n’en savait rien, et cette seule
pensée, quand elle n’attisait pas sa colère, l’accablait dans son corps et dans
sa volonté. Que pouvait-elle faire, elle simple jeune fille, pour contribuer à
chasser du monde cette injustice, quand elle ne pouvait infléchir l’opinion
d’un seul membre de sa famille ?
    Elle réfléchissait ainsi à ces sujets brûlants lorsqu’elle
aperçut un jeune homme assis de l’autre côté du hall, et qui semblait braquer
sur elle son sourire magnétique. Elle détourna les yeux en hâte, feignant de ne
rien remarquer, mais chaque fois qu’elle risquait une confirmation subreptice
elle voyait le même sourire aveuglant attaché au même visage séduisant, qui à
cet instant était le seul visage dans le vaste hall noir de monde. Elle sentait
le sang affluer à ses joues comme un courant d’air chaud lui caressant la peau.
Elle fit mine de scruter les clients occupés à la réception, comme si la
personne qu’elle attendait y réglait ses affaires : mais cette personne ne
tarderait pas à revenir, et Roxana partirait avec elle, et juste avant de
passer la porte elle se retournerait pour une dernière vision de ce jeune homme
ridicule.
    Et puis, après une éternité passée à ne pas regarder, elle
s’autorisa un infime coup d’œil : il était toujours là, à la dévisager
ouvertement, mais il ne souriait plus, et elle le vit se lever et marcher vers
elle d’un pas décidé. Refusant de se laisser embarrasser ou intimider, elle
resta figée dans son fauteuil, le visage crispé, les épaules en arrière, et
attendit qu’il l’aborde.
    « S’il vous plaît, dit-il en ôtant son chapeau et en
s’inclinant légèrement, je suis venu vous présenter mes excuses. J’espère que
vous me pardonnerez de vous avoir regardée de façon aussi directe et aussi
impolie, mais je n’ai tout bonnement pas pu m’en empêcher. Je sais que ma
muflerie est inexcusable, mais c’est la vérité. Au début, vous comprenez, je
vous ai prise pour quelqu’un d’autre, quelqu’un que j’ai connu à New York, et
puis j’ai compris mon erreur, même si, curieusement, maintenant que je suis
près de vous, je me dis que, peut-être, effectivement, je vous connais. »
Et le sourire reparut. Mais aussitôt, remarquant son expression étrangement
fixe, il s’interrompit. Avant de poursuivre : « Là encore,
excusez-moi. Vous devez me prendre pour un fou, à vous accoster ainsi en public
et à pérorer comme un imbécile alors que nous n’avons même pas été
présentés. » Il tendit la main. « Thatcher Fish. Oui, je sais, c’est
un nom bizarre. Parfois, les gens comprennent mal, croient que c’est le nom de
mon entreprise, que je suis pêcheur ou poissonnier. Mais au moins, c’est un nom
que l’on n’oublie pas. »
    Roxana attendit une suite éventuelle ; lorsqu’elle fut
certaine qu’il avait enfin terminé, elle lui sourit et dit :
« Enchantée, monsieur Fish. Je suis Roxana Maury.
    — Pas les Maury de Charleston ?
    — Mais si ! répondit-elle stupéfaite, en haussant
les sourcils.
    — Je crois bien que mon père est en affaires avec le
vôtre. Il est dans le textile. Les textiles Fish & Fils.
    — C’est peut-être le cas, mais je serais bien en peine
de vous le dire, répondit-elle sans méchanceté. Je n’ai pas le droit de
connaître ces choses-là. Je ne suis qu’une fille, vous comprenez. »
    Thatcher lui décocha un nouveau sourire à bout
portant ; elle fut contrainte de détourner les yeux. « Oui, je ne
comprends que trop bien. Vous permettez ? ajouta-t-il en désignant un
fauteuil.
    — Oh, oui, je vous en prie !
    — Je suppose que vous êtes venue en famille ?
demanda-t-il en s’asseyant. En vacances ?
    — Oui. Nous venons chaque année, depuis que je suis
toute petite. Mais cette fois, il n’y a que ma mère et moi.
    — Moi aussi, je suis ici en famille. Mon père est
malade. Il est venu prendre les eaux.
    — Je suis navrée. »
    Thatcher eut un geste

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