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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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attendait.
« Assieds-toi, dit Mère calmement. J’ai à te parler. »
    Elles s’assirent face à face ; Roxana arborait une mine
sévère et implacable.
    « Roxana, commença sa mère. Tu sais que nous t’aimons
tendrement, ton père et moi. Depuis la mort de ta sœur, tu nous es encore plus
précieuse. Voilà pourquoi nous sommes si préoccupés par ton comportement récent.
On dirait que tu vises à provoquer toutes les dissensions possibles au sein de
la famille. On dirait que tu veux te soustraire à l’affection de ton père, de
tes frères, de ta mère. Le malheur est en train de faire son nid dans notre
maison, et c’est toi qui l’as laissé entrer. Je tiens à te dire que, pour ma
part, je respecte tes convictions. Tout ce que je te demande, c’est de
respecter les miennes. »
    Avant qu’elle ne puisse poursuivre, Roxana lui coupa la
parole : « Mais cela m’est impossible. N’est-il pas dit dans le
Psaume, II, verset 3 : “Rompons leurs chaînes, débarrassons-nous de
leurs liens” ?
    — Ne me lance pas les Saintes Écritures à la figure,
dit Mère d’un ton furieux. Je pourrais te renvoyer d’autres citations.
    — L’esclavage est une injustice, argumenta Roxana d’une
voix rivalisant d’émotion avec celle de sa mère. Plus qu’une injustice, c’est
un péché, et prendre part à cette entreprise diabolique, en goûter les fruits,
c’est se faire le complice du Mal. »
    Mère soupira. « Et tu oses me dire cela en face ?
Insinuerais-tu que ta mère, ton père et tes frères sont des suppôts du
Mal ? »
    Roxana ne répondit rien.
    « Tu insinuerais donc que le Mal est aussi en toi. Car
ce voyage, cette chambre d’hôtel ont été payés avec l’argent du produit de nos
champs, du labeur de nos gens. Tout comme ce que tu as mangé, les vêtements que
tu as portés, ceux que tu portes à présent. »
    Sans un mot, Roxana bondit de sa chaise, furieuse, et,
empoignant à deux mains le col de sa robe, se mit à tirer frénétiquement sur le
tissu jusqu’à ce qu’il se déchire. Alors, d’un coup sec, comme en transe, elle
élargit la déchirure jusqu’à l’ourlet puis, sortant les bras des manches, elle
se dégagea de la robe et se campa devant sa mère dans ses sous-vêtements
blancs, qu’elle entreprit d’ôter aussi.
    « Roxana ! hurla sa mère. Arrête ! Arrête
tout de suite ! »
    Elle la foudroya du regard et refusa de s’arrêter avant
d’être complètement nue. Alors sa mère, d’un seul geste vif et fluide, se leva
pour la gifler et, comme dans un même mouvement de ballet, la main de Roxana
s’envola pour gifler sa mère en retour.
    « Comment oses-tu ? demanda Mère froidement en
balayant la chambre du regard.
    — Que cherchez-vous donc ? Votre cravache ?
    — Encore un mot de toi et…
    — Et quoi ?
    — Mets quelque chose. Habille-toi. Nous allons quitter
cet horrible endroit aujourd’hui même. »
    Roxana saisit un drap du lit. « Compte tenu de
l’endroit où nous nous trouvons, il est peut-être légèrement moins criminel de
porter ça, qui a sans doute été tissé par des ouvriers salariés, même si le
coton est éclaboussé de sang. » Elle s’enveloppa du drap et sortit de la
chambre.
    « Roxana ! cria sa mère. Roxana ! »
    Ce n’est qu’après avoir refermé la porte derrière elle
qu’elle laissa éclater les sanglots, mais elle continua d’avancer à grands pas
dans le corridor, pieds nus sur la moquette, les cheveux en bataille, les joues
ruisselantes. Elle sentait les yeux posés sur elle, entendait les murmures, les
exclamations, mais elle regardait droit devant elle et gagna l’escalier, puis
descendit à l’étage inférieur pour atteindre la porte dont elle avait
involontairement retenu le numéro, mentionné à une seule occasion, et elle
frappa timidement, une fois, deux fois, et lorsque la porte s’ouvrit et qu’elle
vit Thatcher elle se sentit tomber et ce n’était pas entièrement désagréable,
cette chute, et elle s’abandonna à la sensation en pensant, avant que cesse
toute pensée, que peu lui importait où elle atterrirait.
    Jamais elle ne revit sa mère, ni son père, ni ses frères, ni
Ditey, ni Sally, ni Eben, ni Redemption Hall. Jamais.

 
14
    Un beau matin, après quelque trois jours d’absence, Liberty
rentra à la maison avec un œil au beurre noir et une estafilade au menton. Il
refusa d’avouer où il avait été, d’expliquer d’où lui venaient ces

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