La Prison d'Édimbourg
passait pour un homme de mauvaise conduite, un fils dénaturé et un mari brutal. Il se rendit pourtant utile dans sa place, et il était, par sa rudesse et sa sévérité, l’effroi des tapageurs et de tous ceux qui troublaient la tranquillité publique.
Le corps qu’il commandait, composé d’environ cent vingt hommes en uniforme, est ou plutôt était divisé en trois compagnies, armées, vêtues et organisées régulièrement. La plupart étaient d’anciens soldats qui s’enrôlaient dans cette troupe, parce que, les jours où ils n’étaient pas de service, ils pouvaient travailler dans quelque métier. Ils étaient chargés de maintenir l’ordre, de réprimer le vol dans les rues, et de faire la police dans toutes les occasions où l’on pouvait craindre quelque trouble. Le pauvre Fergusson, à qui sa vie irrégulière procurait parfois de désagréables rencontres avec ces conservateurs militaires du repos public, dont il fait mention si souvent, qu’on pourrait le surnommer leur poète lauréat, avertit ainsi ses lecteurs, sans doute d’après sa propre expérience :
Bonnes gens, sur les grands chemins
Évitez cette noire garde ;
Nulle part de pareils coquins
N’ont jamais porté la cocarde.
Dans le fait, les soldats de la Garde de la Ville, étant généralement, comme nous l’avons dit, des vétérans réformés qui avaient encore assez de force pour ce service municipal, et de plus presque tous nés dans les Highlands, ni leur naissance, ni leur éducation, ni leurs premières habitudes, ne les rendaient propres à endurer avec patience les insultes de la canaille ou les provocations des jeunes étudians et des débauchés de toute espèce, avec lesquels leur emploi les mettait tous les jours en contact ; au contraire, le caractère de ces vétérans était encore aigri par les nombreux affronts de la populace, et fréquemment il y avait des motifs pour leur adresser ces autres vers plus supplians du poète déjà cité :
Soldats, pour l’amour de vous-mêmes,
Pour l’Écosse, votre pays,
N’en venez plus à ces moyens extrêmes,
Épargnez le sang de ses fils ;
Laissez un peu dormir vos hallebardes ;
Épargnez-nous, valeureux gardes,
Laissez un peu reposer vos fusils.
Une escarmouche avec ces vétérans était un des divertisse mens favoris de la populace, les jours de fêtes ou de cérémonies publiques. Bien des gens qui liront peut-être ces pages pourront sans doute encore se rappeler qu’ils furent autrefois témoins de ces scènes. Mais ce corps vénérable peut être regardé maintenant comme n’existant plus. Il a disparu peu à peu, de même que les cent chevaliers du roi Lear. Les édits de chaque nouvelle série de magistrature, tels que ceux de Gonerille et de Regane, ont diminué cette troupe après une semblable question : – Qu’avons-nous besoin de cent vingt hommes ? – Qu’avons-nous besoin de cent ? – Qu’avons-nous besoin de quatre-vingts ? – Enfin, on en est presque venu à dire : Qu’avons-nous besoin d’un seul ? – On voit bien encore çà et là le spectre d’un montagnard à cheveux gris, aux traits altérés et à la taille courbée par l’âge, couvert d’un antique chapeau à cornes, bordé d’un ruban de fil blanc au lieu de galon d’argent ; son manteau, son justaucorps et ses hauts-de-chausses sont d’un rouge sale ; sa main flétrie soutient une arme des anciens temps, appelée hache de Lochaber , c’est-à-dire une longue perche terminée par un fer en forme de hache à croc. Tel est le fantôme qui se traîne, m’a-t-on dit, autour de la statue de Charles II, dans la place du Parlement, comme si l’image d’un Stuart était le dernier refuge de tout ce qui rappelle nos anciennes mœurs. Deux ou trois autres se glissent aussi, ajoute-t-on, près de la porte du corps-de-garde qui leur fut assigné dans les Luckenbooths, quand leur ancien abri de High-Street fut démoli ; mais le destin des manuscrits légués à des amis et à des exécuteurs testamentaires est si incertain, que ces fragmens des annales de la vieille garde urbaine d’Édimbourg, qui, avec son farouche et vaillant caporal John Dhu (le plus terrible visage que j’aie jamais vu), était, dans ma jeunesse, tour à tour la terreur et la dérision des pétulans écoliers de High-School, ne verront peut-être le jour que quand tout souvenir de l’institution sera effacé. Ils serviront tout au plus d’explication aux caricatures de Kay, par
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