La Prophétie des papes

peu âgé avec un tremblement prononcé des mains.
    Â«Â On vous a choisi pour venir à Rome, dit-on au père Tremblay. Vous allez reprendre les fonctions de monseigneur, qui prend sa retraite.
    âˆ’ Et quelles sont ces fonctions ?
    âˆ’ La surveillance, lui répondit-on.
    âˆ’ Et qui dois-je surveiller ?
    âˆ’ Les lémures.
    âˆ’ Les lémures ? demanda Elisabetta. De quoi s’agit-il ?
    âˆ’ Vous en avez vu un à la morgue », dit Tremblay.
    Elisabetta frissonna. Il eut l’air de s’en apercevoir, mais il n’essaya pas de la réconforter.
    Â«Â Et vous avez vu leurs squelettes à Saint-Calixte.
    âˆ’ Je ne comprends pas.
    âˆ’ Je crois que si, dit-il. Le professeur De Stefano m’a dit que vous étiez quelqu’un d’intelligent et que vous vous demandiez si une espèce de secte n’avait pas survécu jusqu’à l’époque actuelle.
    âˆ’ Vous avez travaillé pour lui ?
    âˆ’ Non, je vous ai dit pour qui je travaillais. J’ai été détaché à la Commission pontificale d’archéologie sacrée après la découverte des squelettes. On m’a ordonné de suivre de près votre enquête. Ce que le professeur De Stefano vous a dit était vrai : le Vatican s’est toujours posé et se pose toujours des tas de questions sur Saint-Calixte. En particulier à cause du conclave et de la troublante et néfaste publicité qui découlerait d’une fuite. Les quelques officiels qui connaissent l’existence des lémures étaient tout particulièrement inquiets. Mais De Stefano n’en savait pas beaucoup plus que vous. Assez pour le rendre nerveux, peut-être. Il n’avait pas besoin d’en savoir plus.
    âˆ’ Et moi, j’en ai besoin maintenant ?
    âˆ’ Je compte sur votre aide.
    âˆ’ Je ne vois pas ce que je peux faire. J’ai été congédiée.
    âˆ’ Oui, je l’ai appris.
    âˆ’ On m’envoie en Afrique. »
    Tremblay parut surpris de l’apprendre.
    Â«Â Quand ?
    âˆ’ Dans une semaine.
    âˆ’ Je peux essayer de faire annuler cette décision.
    âˆ’ Non ! Je veux y aller.
    âˆ’ Alors nous n’avons pas beaucoup de temps. Les lémures », dit-il à nouveau en posant sa tasse.
    Les lémures. Les fantômes des anciens Romains, les ombres des morts. Des âmes malfaisantes, insatiables, rejetées. Ils entraient dans les foyers la nuit, ils commettaient des actes affreux.
    Tremblay expliqua qu’il y avait une fête tous les ans au mois de mai pendant laquelle les Romains accomplissaient des rites pour exorciser leurs maisons et chasser ces horribles créatures. À minuit, dans tous les foyers romains, le chef de famille, le paterfamilias , jetait des haricots noirs par-dessus son épaule et disait neuf fois :
    Â«Â Par ce geste, je nous sauve, ma famille et moi. »
    Les lémures étaient censés être distraits lorsqu’ils ramassaient les haricots. Alors le fidèle se retournait, leur jetait de l’eau claire, puis tapait des cymbales de bronze l’une contre l’autre, exigeant le départ des démons. Et pendant un an, avec un peu de chance, ils resteraient à distance.
    L’origine du terme lémure était obscure. Mais, aujourd’hui, le rapprochement était assez clair avec les lémuriens, ces primates africains nocturnes, au regard obsédant, aux cris d’outre-tombe et aux queues longues et épaisses. Carl Linnæus, le taxinomiste du XVIII e siècle, s’était inspiré des fantômes romains et avait donné leur nom à ces animaux.
    Tremblay décroisa les jambes et se pencha en avant.
    Â«Â Ã€ Saint-Calixte, nous avons un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants du I er siècle qui étaient dotés de queues et qui périrent ensemble, peut-être par le feu. Les premiers Romains les craignaient, pensaient qu’ils étaient des fantômes. Mais ils étaient bien réels, Elisabetta. Ils existaient déjà dans la Rome antique. Ils ont été présents tout au long de l’histoire et ils sont toujours là. Votre homme à Ulm en était un. Aldo Vani en était un. Ils ont volé les squelettes de Saint-Calixte. Dans quel but, je ne sais pas. Ils ont tué le professeur De Stefano. Ils ont essayé de vous tuer. Ils sont parmi