La Prophétie des papes
paraissait se donner du mal pour observer à la fois Elisabetta et Zazo.
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« Que fais-tu ici ? demanda le père de Zazo en laissant tomber son cartable dans le salon.
â Câest de famille », marmonna Zazo.
Il répéta toute lâhistoire pendant que Carlo se versait un apéritif, puis un autre.
« Dâabord, Elisabetta sâattire des ennuis, puis toi. Et après ? Rien du côté de Micaela ? Les mauvaises nouvelles arrivent toujours par trois.
â Câest de la superstition ou de la numérologie, papa ? demanda Elisabetta.
â Ni lâun ni lâautre. Câest un fait. Que faisons-nous pour le dîner ?
â Je vais préparer quelque chose.
â Fais simple, dit Carlo. Il faut que je sorte ce soir.
â Un rendez-vous ? demanda Zazo.
â Très drôle. Ha ! Ha ! Un pot pour le départ à la retraite de Bernardini. Il est plus jeune que moi. La catastrophe est imminente. »
Carlo ouvrit son cartable et poussa un juron.
« Quâest-ce qui ne va pas ? demanda Elisabetta.
â Je voulais passer une heure à travailler sur ton énigme, mais jâai laissé le fichu bouquin au bureau. Donne-moi lâancien.
â Non ! protesta-t-elle. Tu as entendu quâil a de la valeur. Tu vas renverser ton verre dessus. Jâai une édition de poche dans ma chambre, tu pourras même lâannoter si tu veux. »
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Elisabetta prépara un plat de pâtes avec du pecorino et nettoya une salade verte pendant que Zazo buvait deux ou trois des bières de son père.
« Micaela vient après le dîner, lui dit-elle.
â Je mâen irai quand elle arrivera.
â Tu nâes pas obligé dâattendre si tu préfères être ailleurs, dit-elle.
â Tout va bien et jâai faim.
â Bon, va chercher papa. Dis-lui que câest prêt. »
Zazo donna un petit coup sec sur la porte de la chambre de son père. Pas de réponse. Il tapa plus fort et cria.
On entendit un « Quoi ? » grincheux.
« Le repas est prêt. »
De lâautre côté de la porte, Carlo répondit :
« Attends une minute, je suis occupé. »
Zazo retourna dans la cuisine, plongea une fourchette dans les pâtes et en préleva quelques-unes pour les goûter.
« Il a dit dâattendre une minute. Il est occupé. »
Ils patientèrent dix minutes et Elisabetta retourna à la porte. Carlo la renvoya, tout en promettant quâil serait prêt dans une minute.
Dix minutes plus tard, ils entendirent sa porte sâouvrir brusquement. Il entra lentement dans la cuisine, renfrogné, tenant dans une main lâédition de poche du Faust et un carnet.
« Ãa va, papa ? » demanda Elisabetta.
Soudain, lâexpression boudeuse de Carlo se transforma en un gigantesque sourire, comme un enfant qui ferait une plaisanterie.
« Je lâai résolue ! Jâai décodé ton énigme ! »
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23
L ONDRES, 1589
M arlowe sâimprégnait de lâatmosphère de foire dâempoigne londonienne en flânant dans les rues animées et grouillantes de Shoreditch. Il souriait à toutes les fripouilles, filles de joie, tous les nègres, colporteurs et gamins des rues quâil frôlait en passant. Je suis né pour vivre dans un lieu comme celui-ci , pensa-t-il.
Câétait un jour dont il attendait beaucoup et même la puanteur des caniveaux ouverts ne parvenait pas à amoindrir son plaisir ; dans peu de temps, il verrait la première représentation de sa nouvelle pièce, LâHistoire Tragique de la vie et de la mort du docteur Faust .
Marlowe avait mis ses plus beaux vêtements, ceux quâil portait quatre ans auparavant lorsque, les poches pleines de lâargent donné par Walsingham, il avait posé pour un portrait dont il avait passé commande. Dans un acte dâorgueil démesuré et sans précédent qui avait embrasé lâimagination de ses collègues, il avait offert le portrait au maître de Benet lors de son départ en 1587. Complètement époustouflé par ce geste, maître Norgate nâavait pas eu dâautre choix que de lâaccrocher dans sa galerie lambrissée, à côté dâune ribambelle dâautres érudits et anciens
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