La Prophétie des papes
exécuté exactement selon les instructions précises de Marlowe. Sa voix retentit :
Â
à ce moment où lâombre noire de la Terre,
Voulant voir Orion à lâhumide influence,
De lâespace antarctique a jailli dans le ciel
Et de sa sombre haleine en a terni la voûte,
Tu vas, Faust, commencer tes incantations,
Ãprouver des démons lâentière obéissance,
Toi qui leur as donné sacrifice et prière,
En ce cercle est inscrit le nom de Jéhovah,
Anagrammatisé dans un sens puis dans lâautre,
Avec en abrégé les noms sacrés des saints,
La figuration des attributs célestes,
Les signes du zodiaque et des astres errants,
Grâce à quoi les esprits sont forcés dâapparaître.
Donc, plus de crainte, ô Faust, montre-toi résolu
Et pousse la Magie à son haut exploit.
Â
Le public eut le souffle coupé lorsque Méphistophélès apparut dans une explosion de phosphore, vêtu de vert, avec tous les attributs du diable, les cornes et les ailes.
Kyd chuchota à lâoreille de Marlowe.
« Magnifique ! »
Et Marlowe lui sourit, satisfait.
La mise en scène se fit encore plus impressionnante à mesure que Faust, après avoir signé son pacte avec Lucifer pour échanger son âme contre vingt-quatre années sur Terre avec Méphistophélès pour serviteur, partit pour son voyage exploratoire.
Lâélocution puissante dâAlleyn, associée aux feux dâartifice et aux flammes, captivait le public. Lorsquâarriva le moment pour Lucifer de réclamer sa prime, un dragon terrible, crachant le feu, émergea dâun nuage de fumée. Au-dessus, des diables échevelés se balançaient, attachés par des filins, avec des cierges magiques dans la bouche. Des tambours produisirent le grondement du tonnerre tandis que des accessoiristes lançaient des éclairs.
Et vers la fin, avant dâêtre emporté en enfer, Faust se vit accorder son dernier vÅu â voir de ses propres yeux la belle Hélène de Troie. Alleyn, de sa voix puissante, émut les spectateurs jusquâaux larmes.
Â
Ce visage ! Câest lui qui lança mille nefs
Et qui brûla les tours sublimes dâIlion !
Hélène quâun baiser me joigne aux Immortels !
Â
Une fois que les applaudissements se furent calmés et que la foule se fut dispersée, la nuit était tombée et, avec elle, une brume rafraîchissante. Dans une ruelle derrière le théâtre, Kyd et Marlowe restèrent ensemble un moment.
« Pourquoi dois-tu partir ? dit Kyd dâun ton boudeur. Viens avec moi au Mermaid. Câest un triomphe, Kit. Viens le fêter avec des amis.
â Il faut que jâaille voir des gens, dit Marlowe. Je te rejoindrai plus tard. Attends-moi là -bas, dâaccord ?
â Dâaccord, si tu viens plus près. »
Kyd lâembrassa, glissa une main dans son dos et caressa sa queue dâun geste sensuel.
Â
Dans lâombre, un homme seul les observa pendant un moment puis disparut sans un bruit dans la brume.
Au palais de Whitehall, dans son bureau privé, Francis Walsingham versa à Marlowe et à Robert Cecil des verres de bon cognac français. Robert Poley était présent aussi, assis à côté du feu, une chope à la main, sombre et taciturne.
On entendit frapper à la porte et le secrétaire privé de Walsingham annonça :
« Il est là . »
Marlowe ne sâattendait pas à rencontrer qui que ce soit dâautre. Curieux, il observa le petit homme, guère plus grand quâun adolescent, qui franchissait le seuil. Il portait une longue toge noire dâacadémicien, qui traînait par terre. Son visage était flétri par les années et il possédait la barbe la plus remarquable que Marlowe ait jamais vue, blanche comme une oie des neiges, assez touffue pour pouvoir abriter un nid dâoiseaux et aussi longue que son visage. Lâhomme tenait contre lui une boîte marquetée et vernie de la taille dâune bible.
Walsingham sâavança et, obséquieux, baisa sa main décharnée avant de demander : « Est-ce lâobjet ?
â Oui », répondit lâhomme en lui tendant la boîte.
Walsingham la posa avec précaution sur son bureau, désigna Marlowe et
Weitere Kostenlose Bücher