La Prophétie des papes
étudiants bien plus remarquables.
Sur le tableau, il posait dâun air suffisant, les bras croisés, la bouche boudeuse et rebelle, les cheveux au vent et la moustache fine. Son pourpoint était ajusté, noir avec une bordure de velours rouge, décoré de boutons dorés sur le devant et sur les manches. Sa chemise de lin était ouverte, avec un col de dentelle souple, qui était bien plus canaille que les cols habituels, amidonnés, à jabot quâarboraient les notables accrochés sur le mur de Norgate. Les vêtements, qui avaient bien vécu en Angleterre et sur le continent, étaient un peu usés, mais ils faisaient encore leur effet et lui allaient parfaitement. Malgré tout, si la pièce devenait un succès, il avait déjà prévu de demander au tailleur de Walsingham de lui confectionner un nouvel ensemble.
Londres, cette dense métropole de cent mille âmes, lui appartenait, désormais. En peu de temps, il en avait apprivoisé le cÅur exigeant et en avait extrait ses trésors, les uns après les autres. Il nâen doutait pas : Faust lui apporterait la plus flamboyante des récompenses.
Marlowe sâétait attaché à Londres comme une sorcière à son chaudron. La nuit il fréquentait le très animé Nags Head à Cheapside, les sombres bordels de Norton Folgate, où il pouvait cacher le détail de son anatomie sous sa culotte montante, et les salons fiévreux de Whitehall où, entouré de Cecil, de Walsingham et de ses pairs, il nâavait pas besoin de se cacher. Et le jour, lorsque sa tête avait récupéré des excès de la nuit précédente, il restait dans ses appartements et faisait courir la plume sur le parchemin jusquâà ce que sa main lui fasse mal.
Il trouva son foyer théâtral auprès des Admiralâs Men, une troupe dâacteurs qui était sous le patronage de Charles Howard, le commandant en chef de la marine royale. Lâamiral avait convaincu le plus grand acteur dâAngleterre, Edward Alleyn, de rejoindre sa compagnie et lorsquâAlleyn, un homme imposant à la voix de baryton aussi puissante quâun cor du meilleur cuivre, lut Tamerlan le Grand , ce fut le début dâune intense association artistique. Alleyn avait du mal à croire quâun chef-dâÅuvre comme Tamerlan le Grand ait pu être écrit par un homme de vingt-deux ans. Il en fut de même du public et la pièce, qui racontait lâhistoire dâun simple berger devenu meurtrier et le redoutable dirigeant de Perse, fut le sujet de toutes les conversations à Londres et eut un grand succès commercial.
Le Théâtre était la première salle de spectacle édifiée dans ce but à Londres et Marlowe ressentait toujours un frisson dâexcitation chaque fois quâil y entrait. Câétait un grand polygone avec une charpente en bois, en partie construit par la main de Burbage, qui était maître-charpentier. Il y avait trois balcons entourant une cour pavée devant une estrade surélevée. Pour un penny, quelques centaines de personnes pouvaient assister à la pièce debout, sur ces pavés, serrés les uns contre les autres. Pour un autre penny, quelques centaines dâautres pouvaient accéder aux balcons et, pour un penny supplémentaire, ils pouvaient louer un tabouret. Une demi-douzaine de loges étaient aménagées sur les balcons : des alcôves privées réservées aux privilégiés.
Â
Devant le Théâtre, Marlowe dut se frayer un chemin, incognito, au milieu dâune foule compacte, indisciplinée et puante, de prostituées, proxénètes et pickpockets. Il arriva au tourniquet en essuyant son pourpoint du dos de la main, au cas où quelque ornement déplaisant ne sây soit déposé.
« Kit ! Par ici ! »
Thomas Kyd lui faisait signe.
« Tom ! »
Les gardes le laissèrent passer et Tom franchit la distance qui les séparait en quelques pas bondissants. Il était beaucoup plus grand et aussi blond que Marlowe était brun.
« Jâai cru que tu allais être en retard pour la première de ta propre pièce. »
Marlowe rayonna.
« Ils nâont plus vraiment besoin de moi, maintenant. Après tout, les mots sont écrits depuis longtemps. »
Kyd lui tapa sur
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