La Prophétie des papes
directement à la chapelle Sixtine. Il avait les clefs, bien entendu, mais lâétage était tout entier surveillé par des caméras. Même si le commandant en second des gardes suisses pouvait circuler presque partout dans le Vatican dans la plus totale impunité, il valait mieux passer par des couloirs du sous-sol où les caméras de surveillance étaient moins nombreuses.
Il monta une volée de marches en pierre jusquâau premier niveau du sous-sol et suivit un couloir jusquâà se trouver directement sous la chapelle Sixtine, dans un labyrinthe de pièces de taille petite et moyenne encombrées dâobjets sans intérêt et sans grande valeur. Le Vatican possédait des espaces très sécurisés pour les documents, les livres et les trésors artistiques, mais le contenu de ces pièces était plus prosaïque : des meubles, du matériel de nettoyage, des barrières de sécurité extérieures.
La salle dans laquelle il entra était dépourvue de caméras et elle recevait si rarement des visiteurs quâil était certain de pouvoir y travailler sans être interrompu. Il alluma les lumières et la pièce fut tout à coup baignée dâune lumière fluorescente dâun jaune vert écÅurant. On y voyait des piles de simples tables en bois, bon marché, de moins dâun mètre de large, assez hautes pour quâon puisse sây asseoir. Elles avaient été achetées en gros dans les années 1950 à une entreprise milanaise, mais elles paraissaient relativement neuves, compte tenu du fait quâon les utilisait peu. Elles avaient été sorties de la réserve et emportées à lâétage jusquâà la chapelle Sixtine cinq fois seulement en presque six décennies, chaque fois à lâoccasion du choix dâun nouveau pape.
Elles avaient lâair assez banales, mais une fois recouvertes jusquâau sol de velours rouge, avec une surnappe de velours et brocart brun et or, leur splendeur se révélerait, en particulier lorsquâelles seraient disposées en rangées impeccables sous le plafond de Michel-Ange.
La table la plus proche trouverait son utilité dans un avenir plus immédiat. Lâhomme y posa son sac et sourit.
3
T ommaso De Stefano prit son temps pour fumer une cigarette, apparemment agité à la perspective de son rendez-vous. Au-dessus de lui, lâeau descendait en cascade de la fontaine aux dauphins sculptés et entremêlés qui trônaient au centre de la piazza Mastai depuis 1863. Sa femme lâencourageait depuis longtemps à renoncer au tabac et même lui reconnaissait la nécessité dâaméliorer son souffle poussif. Cependant, cette place de Rome était un monument à la gloire du tabac et câétait peut-être justice, pour des raisons historiques, de lui rendre hommage en fumant.
De plus, il était nerveux et même un peu intimidé. Son malaise nâétait pas sans lui rappeler lâappréhension quâil avait éprouvée quelques années auparavant lorsquâil était allé chercher un cousin qui avait purgé une peine de six ans pour vol. à lâépoque, il avait demandé à sa femme, désespérément hésitant :
« Quâest-ce quâon dit à un homme dont la vie a été interrompue si longtemps ? Comment ça va ? Ãa fait une paye ? Tâas lâair en forme ? »
Derrière lui se trouvait lâimposante Manufacture des tabacs de Rome que lâentreprenante famille du pape Pie IX avait érigée au XIX e siècle. Aujourdâhui, câétait devenu un organisme dâÃtat chargé des monopoles. En face de lui se trouvait une structure plus banale de quatre étages en grès rouge, bâtie par le même pape en 1877 pour loger et éduquer les filles employées dans sa manufacture. Ce nâétait probablement pas un acte de pure charité papale, plus certainement une manÅuvre calculée pour que sa main-dâÅuvre bon marché ne soit pas dans la rue et exposée aux maladies vénériennes.
De Stefano éteignit sa cigarette et traversa la place.
Bien que la fabrication de tabac eût cessé depuis longtemps, le bâtiment rouge était resté, devenu une école. Un groupe dâadolescentes proprettes en tenue de sport bleu et
Weitere Kostenlose Bücher