La Prophétie des papes
cheminée, Elisabetta eut lâimpression quâil sortait de lâenfer.
« Ignoble ? » Sa voix se fit plus forte. « En quoi votre dogme catholique est-il si différent ? Vous parlez bien du jour du Jugement dernier. Le jour où le monde tel que nous le connaissons disparaîtra, non ? Votre version fait revenir le Christ, pas la mienne. Voilà la principale différence.
â Dans le Jugement dernier, le bien et le mal auront des destins différents. Câest ce quâenseigne lâÃglise, dit Elisabetta, sâefforçant dâopposer sa douceur à la colère de son interlocuteur.
â Croyez-moi, dit Krek, se calmant brusquement, je nâai aucune envie de débattre de votre théologie. Jâapprécie les différences de perception. La discorde en matière religieuse a toujours été une source de bienfait pour nous. »
Elle en eut la nausée.
« Vous dites que vous voulez détruire lâÃglise. Dans quel but ? Que cherchez-vous ?
â Notre credo  ? éructa-t-il dâun ton méprisant. Notre raison dâêtre 5  ? Nous sommes intéressés par la noire beauté du pouvoir, de la richesse, de la domination. Combattre lâÃglise nous a toujours enrichis. Tous les conflits font naître des perspectives heureuses. Les guerres nous rendent riches et, en plus, elles sont assez plaisantes.
â Vous tirez du plaisir de la souffrance humaine ? »
Krek serra la mâchoire.
« Personnellement, oui, surtout la souffrance des religieux fanatiques et moralisateurs, mais peut-être suis-je un peu extrémiste. La plupart de mes camarades sont plus détachés.
â Vous êtes des psychopathes. »
Il éclata de rire.
« Des étiquettes, à nouveau. Vous savez, jâai fait des études. Jâai lu et étudié toute ma vie. Je comprends le sens de ce mot. Ãcoutez, nous sommes ce que nous sommes, comme vous êtes ce que vous êtes. Jâaime à penser que nous sommes plus évolués, plus pointus, plus efficaces. Nous ne sommes pas limités par nos émotions et je crois que câest une force. Si vous voulez utiliser le terme de âpsychopatheâ, allez-y. Comment devrais-je vous étiqueter ? »
Elle fut déstabilisée par la manière dont il avait retourné la situation. Il lui fallut un moment pour mettre de lâordre dans ses idées.
« Je suis une femme de foi. Je crois en Dieu. Jâai toujours cru en Lui, depuis aussi longtemps que je me souvienne. Je crois en la bonté et dans le pouvoir de la rédemption. Lorsque les gens souffrent, je souffre. Je suis une servante de Dieu, voilà mon âétiquetteâ. Cela me définit et jâen suis heureuse. »
Krek jeta un coup dâÅil à la télévision pour sâassurer quâil ne manquait rien, puis il répondit :
« Oui, mais entrer dans les ordres, câest un grand pas, non ? Plus de fêtes. Plus de sexe, jâimagine. Plus de liberté de faire ce que vous avez envie de faire quand vous en avez envie. Pourquoi lâavez-vous franchi, ce pas ? »
Il sait pourquoi , se dit-elle. Elle nâallait pas lui donner la satisfaction sadique de lâénoncer pour lui. Elle nâallait pas dire : « Câest à cause de vous , espèce de salaud ! Vos tueurs ont planté un couteau dans ma poitrine. Ils ont pris la vie de lâhomme que jâaimais. Vous mâavez fait souffrir autant quâon puisse souffrir. Mon seul salut, câétait un engagement total au service du Christ. »
« Je peux vous en remercier, se contenta-t-elle de répondre. Jâimagine que jâai une dette envers vous. »
Krek trouva cette réponse amusante et applaudit comme une otarie. Ensuite il pointa un index vers lâécran.
« Regardez ! dit-il avec lâexcitation dâun enfant. Ils sont en train de fermer la porte ! »
Â
Hackel et son sous-fifre Gerhardt Glauser faisaient partie des gardes suisses en civil qui suivaient la procession, composés essentiellement dâhommes qui avaient constitué la garde rapprochée du pape décédé. Lorsque le dernier conclaviste fut passé par le grand portail de la Sala Regia donnant sur la chapelle Sixtine, ce fut le cardinal Franconi,
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