La Prophétie des papes
prétendait quâil lâaimait plus quâelle. Imagine, disait-elle avec ce visage exaspéré dont hériteraient Elisabetta et Micaela, passer tout ton temps à essayer de prouver lâassertion selon laquelle tout entier pair plus grand que deux peut sâexprimer comme la somme de deux nombres premiers ! Elle ne pouvait pas le concevoir à lâépoque, quâaurait-elle pensé si elle avait vécu vingt-cinq ans de plus ? Il était là , toujours à essayer de prouver ce fichu théorème afin de pouvoir sâen vanter alors quâaucun mathématicien au monde nây était parvenu en deux cent cinquante ans.
Elisabetta constata que les épais cheveux blancs de son père étaient plus hirsutes que dâhabitude. Elle se dit quâil avait lâair fatigué.
« Comment tu te sens, ces derniers temps, papa ?
â Moi ? Très bien. Pourquoi ?
â Pour rien. Juste pour savoir. à quel moment Micaela et Zazo doivent-ils arriver ?
â Ils nâarriveront pas avant que tu aies fini de cuisiner, tu le sais. »
Elle rit et mit un tablier.
« Jetons un coup dâÅil à ce gigot. »
Il sortit lâagneau du réfrigérateur et, pendant quâil retirait le papier dâemballage, il lâcha soudain :
« Ils refusent de me confier de nouveaux étudiants de troisième cycle.
â Je savais quâil y avait quelque chose, dit-elle sans lever les yeux.
â Câest ce quâils font quand ils pensent que quelquâun est devenu trop vieux ou trop imbécile.
â Je suis sûre que ce nâest pas le cas, dit Elisabetta. Mais peut-être que tu devrais être content de ne pas avoir de nouveaux étudiants. Il faut quatre ou cinq ans avant quâils obtiennent leur diplôme. Parfois plus.
â à la prochaine étape, on proposera de me nommer professeur émérite, puis on déplacera mon bureau au sous-sol. Je sais comment ça marche, crois-moi. »
Carlo eut un regard dur et fronça si fort ses sourcils broussailleux quâils se rejoignirent presque au-dessus de lâarête de son nez. Ses gros poings se serrèrent.
Elisabetta se lava les mains avant de saupoudrer la viande de sel marin.
« Quâest-ce que ces ânes diront lorsque je résoudrai Goldbach ? railla-t-il.
â Vas-y, va travailler, papa. Je vais finir de préparer le repas. »
Au moment où Zazo et Micaela arrivèrent, la fenêtre de la cuisine était couverte de buée. Zazo renifla comme un chien et tapota le dos dâElisabetta.
« Câest très bien parti, dis-moi, dit-il en jetant un coup dâÅil dans une casserole bouillonnante. Tu as presque bouclé lâaffaire ! »
Zazo et Elisabetta avaient tous les deux lâossature gracieuse de leur mère, une femme qui avait le port et la silhouette dâun mannequin. Zazo gardait la ligne en jouant au foot après le travail et en soulevant de la fonte dans le gymnase de la caserne ; avec sa mâchoire carrée et ses yeux doux, il restait un beau parti, sur le point de sâengager affectivement à tout instant.
« Contente de te voir, moi aussi, dit Elisabetta dâun ton joyeux. Est-ce quâArturo est là  ?
â à moins quâil ne soit caché quelque part, je ne crois pas. »
Zazo goûta la sauce rouge avec la cuillère en bois. Elle le chassa gentiment et appela Micaela.
Elisabetta lâentendit avant de la voir. La voix de Micaela attirait lâattention des gens comme les aboiements incessants dâun chien en laisse. Elle était en train de se plaindre à son père du comportement dâArturo.
« Il nâavait pas besoin de permuter ! Il savait quâil était invité ! Quel naze ! »
Micaela entra dans la cuisine en tapant des pieds. Elle ressemblait plus à son père, plus petite que son frère et sa sÅur. Trapue, elle avait un visage aux traits plus lourds que ceux de sa famille. Lorsque les enfants étaient petits, les gens parlaient des charmants visages dâElisabetta et de Zazo, et du caractère explosif de Micaela. Rien nâavait changé.
« Arturo ne vient pas, annonça-t-elle à sa sÅur.
â Jâai entendu. Câest dommage.
â Une espèce de crétin au service des urgences
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