La Prophétie des papes
mâchoire de son autre main. Dâun mouvement violent, lâhomme tira fort et on entendit un craquement horrible lorsque les vertèbres de la sentinelle se brisèrent.
Les deux corps tressaillirent sur le sol glacé, puis sâimmobilisèrent. Les autres hommes enveloppés dans leurs capes les rejoignirent et tous se lancèrent dans une chorégraphie sauvage.
Lorsquâils en eurent terminé avec leur découpage, des morceaux de corps baignaient dans des flaques de sang comme des bouts de viande dans un ragoût. Vibius plongea la main dans les plis de son habit et en sortit un médaillon en argent au bout dâune chaîne cassée. Câétait le monogramme chi-rhô , le symbole du Christ. Il le laissa tomber dans le sang et fit signe à ses compagnons de le suivre ; ils franchirent la porte Capène et entrèrent dans la ville de Rome.
Â
Les taudis au pied de la colline de lâEsquilin nâétaient jamais paisibles. Même tard dans la nuit, il y avait toujours assez de cris, de braillements dâivrognes ou de pleurs de bébés pour quâil nây ait pas de calme. Au milieu de ce tapage, le clip-clop des sabots des ânes et le raffut produit par les roues des chariots passaient inaperçus.
Le conducteur du chariot tira sur les rênes juste devant un bâtiment miteux dans une étroite ruelle ; une grande partie du plâtre était tombée de la façade. Sâils nâavaient pas été payés pour se taire, les ingénieurs de la ville auraient condamné la construction des années auparavant.
Le charretier descendit dâun bond entre la voiture et le bâtiment et chuchota :
« On y est. »
Dans le chargement de paille, quelque chose bougea ; un bras apparut, puis une tête barbue. Un homme de grande taille descendit et enleva les brins de paille collés à sa cape. Il paraissait défait, beaucoup plus vieux que son âge. Malgré ses trente-huit ans, ses longs cheveux étaient parsemés de filaments gris.
« Montez lâescalier. Frappez trois coups à la porte », dit le charretier avant de disparaître.
Lâescalier était plongé dans le noir et lâhomme dut avancer les pieds avec précaution pour trouver son chemin. Au dernier étage, il tendit le bras jusquâà ce quâil sente le bois brut dâune porte. Il tapa doucement avec son poing.
Il entendit des voix à lâintérieur et le bruit dâun verrou quâon tire. Lorsque la porte sâouvrit, il fut étonné de voir tous ces gens réunis dans la petite pièce éclairée à la bougie.
Lâhomme qui avait ouvert la porte le regarda fixement et lança par-dessus son épaule :
« Tout va bien. Câest lui. »
Ensuite, il prit la main fraîche du visiteur entre les siennes et la baisa.
« Pierre. Nous sommes si heureux que tu sois venu. »
Une fois à lâintérieur, lâapôtre Pierre fut lâobjet de chaleureuses marques dâamitié : les hommes et les femmes cherchaient à lâembrasser, lui donnaient de lâeau, lui proposaient de sâinstaller confortablement sur un coussin.
Ses visites à Rome étaient peu fréquentes. Câétait la terre de lâennemi, trop dangereuse pour des visites impromptues. Il ne savait jamais dans quelles dispositions les Romains allaient se trouver et si sa tête était mise à prix. Il ne sâétait écoulé que quatre années depuis lâassassinat de Jésus, mais les chrétiens, comme on commençait à les appeler â un nom que Pierre préférait de loin à « adeptes du culte juif » â, commençaient à être plus nombreux et à devenir, pour Rome, une cause de souci.
Pierre prit le bol de soupe que lui tendait son hôte, un tanneur du nom de Cornelius, et le remercia.
« Comment sâest passé ton voyage depuis Antioche ? demanda le tanneur.
â Câétait long, mais jâai rencontré beaucoup de gentillesse sur le chemin. »
Un jeune garçon qui ne devait pas avoir plus de douze ans, se rapprocha.
« Ta famille doit te manquer, dit le tanneur, en regardant son fils.
â Oui.
â Est-il vrai que vous étiez présent lorsque Jésus a ressuscité dâentre les morts ? » demanda le
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