La Prophétie des papes
la souffrance, mais même dans son état de fragilité, sa beauté transparaissait.
« Balbilus, dit-elle. Il fallait que je vienne.
â Maîtresse, répondit-il, tombant à genoux avant de tendre ses mains vers la sienne. Vous auriez dû me faire appeler. Je serais venu à vous.
â Non, je voulais que cela se passe ici. » Elle tourna la tête vers le mur. « Ta fresque⦠elle est achevée !
â Jâespère quâelle vous plaît.
â Tous les signes du zodiaque. Somptueusement dessinés, et par ta main, je vois, dit-elle en regardant les doigts tachés de peinture de Balbilus. Mais, dis-moi : cette séquence de planètes, que signifie-t-elle ?
â Câest un petit hommage personnel, maîtresse. La Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Tel était lâalignement des planètes le jour où je suis né, il y a trente-trois ans. Je remets en cause ma décision, maintenant. Câest votre alignement que jâaurais dû choisir. Je peux faire refaire une couche de plâtre.
â Balivernes, mon bon prophète. Il sâagit de ton tombeau.
â Le nôtre , maîtresse.
â Jâinsiste pour que tu gardes la fresque telle quâelle est. »
Un petit cri se fit entendre, sous la couverture qui protégeait Agrippine.
« Maîtresse ! sâécria Balbilus. Câest arrivé !
â Oui, il y a seulement deux heures, dit Agrippine dâune voix faible. Après toutes ces années et tous ces hommes en rut, enfin⦠mon premier-né. »
Une des servantes dâAgrippine tira sa couverture et un tout petit bébé rose apparut. La mère écarta les langes de lâenfant et dit avec fierté :
« Regarde, câest un garçon. Il sâappelle Lucius Domitus Ahenobarbus.
â Câest magnifique, pavoisa Balbilus. Vraiment magnifique. Est-ce que je peux le voir ? »
Elle retourna le bébé. Il avait une queue rose parfaite, qui fouettait lâair énergiquement.
« Votre lignée est puissante, dit Balbilus dâun ton admiratif. Jâimagine que lâempereur ne sait pas ?
â Ce vieillard radoteur et pathétique ne sait même pas que jâen ai une ! Nos accouplements sont des moments complètement absurdes, dit Agrippine. Tout à fait entre toi et moi, tu mâhonores du titre de maîtresse, mais câest toi, Balbilus, mon grand astrologue, qui est mon maître. »
Balbilus sâinclina.
« Je veux en savoir plus long sur ce petit garçon, dit-elle. Dis-moi ce qui va lui arriver. »
Balbilus avait lu les thèmes astraux attentivement. Il connaissait chaque jour de la semaine par cÅur, presque chaque heure. Il se redressa et délivra sa prophétie avec une grande solennité :
« Le signe ascendant de cet enfant, le Sagittaire, est en accord avec le Lion, où se trouve sa lune. Comme la Lune vous représente, vous, maîtresse, le garçon et vous entretiendrez une relation harmonieuse.
â Ah, tant mieux, ronronna Agrippine.
â La planète qui gouverne cet enfant et qui est son ascendant est très favorable. Câest Saturne, la planète du mal. »
Elle sourit.
« Et sa Lune est située dans la huitième maison, celle de la mort. Ceci indique une position élevée, de bons revenus, des honneurs. Jupiter se trouve dans la onzième maison, celle des amis. De là viendra la plus remarquable des bonnes fortunes, une grande renommée et un pouvoir immense. » Il baissa la voix. « Je nâémettrai quâune réserve.
â Dis-moi, demanda Agrippine.
â Il est en carré avec Mars. Cela tempère le caractère favorable de son destin. Comment, je ne peux pas le dire. »
Elle soupira.
« Câest une bonne lecture. Il aurait été faux de parler autrement. Rien nâest parfait en ce monde. Mais, dis-moi, Balbilus, mon fils sera-t-il empereur ? »
Balbilus ferma les yeux. Son appendice caudal se mit à vibrer.
« Il sera empereur, dit-il. Il prendra le nom de Néron. Et il sera lâincarnation du mal. Mais vous devez savoir ceci : vous, sa propre mère, pourriez bien faire partie des nombreuses personnes quâil tuera. »
Agrippine tressaillit à peine en
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