La Prophétie des papes
dernières années. On a perdu la trace de tous les autres. Jusquâà aujourdâhui, dirais-je. Le vôtre est indubitablement lâun dâeux. »
Le père dâElisabetta grattait sa barbe naissante depuis un moment. Il ne se rasait jamais les jours où il ne travaillait pas.
« Ainsi le texte B est un tiers plus long que le texte A. Quelles sont les autres différences ? »
Harris eut lâair surpris.
« Je suis impressionné que vous sachiez une chose pareille ! dit-il. Je pensais que votre domaine, câétait les mathématiques.
â Mon père est éclectique dans ses centres dâintérêt, dit Elisabetta rapidement, le suppliant du regard de se taire.
â Eh bien, pour être précis, dit Harris, le texte B omet trente-six vers du texte A mais ajoute six cent soixante-seize nouveaux vers.
â Qui a fait les changements ? demanda Elisabetta. Marlowe ?
â Cela, nous ne le savons pas. Peut-être a-t-il écrit la seconde version. Peut-être un collaborateur ou un nègre inconnu a-t-il fait les changements pour plaire au public élisabéthain après la mort de Marlowe. Comme tous les dramaturges de son époque, Marlowe ne participait pas à la publication de ses pièces et contrôlait assez mal le contenu des représentations. Des scènes ont pu être ajoutées ou enlevées par un autre écrivain, par des acteurs, par nâimporte qui, en fait. à moins que des manuscrits ultérieurs nâapparaissent, il se peut que nous ne le sachions jamais.
â Quelles sont pour vous les différences véritablement significatives entre le texte A et le texte B ? » demanda Elisabetta, avec, en tête, les mots écrits sur lâenveloppe : La clef se trouve en B.
Harris prit une profonde inspiration.
« Mon Dieu, par où commencer ? Des thèses entières ont été écrites sur le sujet. Moi-même, jây ai apporté ma contribution. Je serais heureux de vous envoyer une bibliographie détaillée pour que vous puissiez creuser la question autant que vous le souhaitez. Pour être bref, disons que les ressemblances sont beaucoup plus nombreuses que les différences. Dans les deux textes, notre docteur Faust convoque le diable des enfers, Méphistophélès, et signe un pacte pour passer vingt-quatre années sur Terre au service personnel de Méphistophélès. En échange, il lui donne son âme en paiement et se damne pour lâéternité à rôtir en enfer. Au terme de ces vingt-quatre années assez savoureuses et dévolues au péché, même si elles furent vécues dans la peur et le remords, il nây a rien que Faust puisse faire pour changer son destin. Il est écartelé et son âme est emportée en enfer.
« Pour ce qui est des différences, ce sont des différences textuelles dans tous les actes, mais la plupart des ajouts se trouvent dans lâacte III ; dans le texte B, lâacte III est beaucoup plus long et il devient un pamphlet anticatholique et antipapiste assez virulent⦠ce qui, en soi, nâest pas très surprenant dans le foyer protestant que lâAngleterre était devenue sous le règne dâÃlisabeth. Faust et Méphistophélès font un voyage à Rome et observent le pape, ses cardinaux, évêques et moines qui se comportent comme des bouffons scandaleusement cupides. La pièce a dû avoir un succès certain à son époque.
â Quelle est dâaprès vous la raison de cette addition ? demanda Elisabetta.
â Sur ce point, il ne peut sâagir que dâhypothèses. Dans la version A, la visite de Faust à Rome était présente, mais elle était beaucoup plus courte. Peut-être que chaque fois quâelle était jouée et que le pape apparaissait sur scène, le public huait, trépignait et sâagitait tellement que Marlowe ou quelquâun dâautre a réécrit et embelli lâacte III de la version B pour alimenter copieusement ce sentiment. »
Elisabetta prit quelques notes sur un bloc.
« Puis-je vous demander de me parler du rôle de lâastrologie dans la pièce ? »
Harris hocha la tête avec enthousiasme.
« Bien sûr. Câest un autre sujet cher à mon cÅur. Lâastrologie était extrêmement
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