La reine de Saba
impassibilité narquoise que son maître.
Derrière, la cohorte des petites servantes, en tuniques si courtes qu’on leur
voyait les cuisses, se poussait pour admirer ses merveilles, mais elle ne lui
était d’aucune aide. Quant à Benayayou, Adoniram préférait ne pas même croiser
son regard. Il haussa le ton :
— L’eau,
tout-puissant seigneur. L’eau est une illusion. Marche, et tu seras surpris.
Salomon
n’était pas ennemi d’un divertissement. Il leva un sourcil, d’un pas
circonspect posa sa sandale dans le bassin. Il ne perçut que le dur sous sa
semelle. Aucune eau, aucune humidité.
Le
Phénicien ne mentait pas. Le bassin n’était pas un bassin. Seulement une
trompeuse apparence, comme bien des événements de l’existence.
Salomon
grogna, amusé pour la première fois depuis son lever.
— Excellent.
Adoniram
roucoula, soulagé, s’empressa d’expliquer :
— Le
marbre est spécialement choisi pour l’illusion, tout-puissant seigneur. Et il
est recouvert d’une gemme cristalline sans une impureté. Traitée, bien sûr,
selon les secrets de chez nous.
— Excellent,
répéta Salomon qui déjà regardait au-delà du vestibule.
— La
vraie rivière est là-bas, dans l’autre salle, tout-puissant seigneur, indiqua
Adoniram, entraînant son monde d’admirateurs derrière lui.
Là, traversant
une salle de repas en son centre, zigzaguant avec un hasard trompeur entre les
murs des alcôves et des chambres, courait dans le sol de briques vernissées un
ruisseau miniature. Il était assez vrai pour laisser percer son murmure et
rouler ses galets dans de petits tourbillons. Ici, il était inutile de se
mouiller le pied pour s’assurer que ses yeux ne s’illusionnaient pas.
Salomon
plissa les paupières, amusé plus qu’admiratif. Ces folies d’architecte allaient
une fois de plus déclencher tout un brouhaha de rumeurs, dès qu’elles seraient
connues. Benayayou, il n’en doutait pas, allait se charger d’informer et
déformer, comme il se plaisait beaucoup à s’y exercer depuis quelque temps.
À nouveau,
l’architecte phénicien pérorait, donnait mille explications qu’on ne lui
demandait pas. Salomon l’interrompit d’un mot :
— Excellent.
— Tout-puissant
seigneur…
— J’en
ai fini avec toi, architecte. Tu as bien travaillé.
Le
Phénicien se plia jusqu’à la ceinture mais ne ferma pas son clapet pour autant,
bien au contraire.
— Béni
sois-tu pour mille ans, tout-puissant seigneur. Je suis ton serviteur à jamais
et je ne souhaite pas t’importuner. Mais les artisans qui ont réalisé cette
merveille veulent m’écharper. Je ne puis plus rentrer chez moi. Il me faut les
payer et, moi, je n’ai pas la première pièce à leur tendre. Il est vrai qu’ils
ont tous œuvré avec cœur et ardeur. Ainsi qu’ils le répètent, ils mangent comme
les autres humains. Et puis, le cèdre, le marbre, le cristal, tout cela coûte
beaucoup, néanmoins peu ont été payés. Et comme tu le sais, pour l’immense
ouvrage du Temple, il en reste beaucoup qui n’ont pas touché leur salaire. On
murmure. Je crie que la sagesse de Salomon est plus importante que son or et
que chacun sera traité avec justice. Mais on murmure tout de même. On s’en
prend à moi qui te défends. Pardonne, tout-puissant seigneur, pour moi, tu le
sais, je ne demande rien. Travailler à ton bonheur, c’est travailler à
l’accomplissement de ta volonté comme à celle du Tout-Puissant, Dieu de Juda et
Israël. Cela me suffit…
Salomon
devina le sourire qui se dessinait sur la face naturellement terne de
Benayayou. Un sourire qui annonçait quelque chose de désagréable d’ici peu.
— Arrange-toi
avec Yotam, grogna Salomon en se détournant.
Il n’avait
nul besoin de voir le jeu des simagrées dans son dos. Yotam devait lancer un
coup d’œil aux lévites, qui levaient les yeux au ciel, signifiant que les
caisses, comme chacun le savait, étaient vides. Et Yotam, de sa voix sans
timbre, déclarait à l’architecte :
— Demain
ou après-demain, viens devant les scribes et on t’écoutera.
Il perçut
le soupir du Phénicien. L’homme savait comprendre à demi-mot autant que
roucouler. Il insistait. Yotam s’employa à élaborer une de ses réponses
interminables avec lesquelles il s’ingéniait à épuiser les plus obstinés.
Salomon
sortit sans attendre de la salle. Il descendit les degrés du jardin et s’avança
sans qu’on l’importune jusqu’à
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