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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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monde.
    — Tu es devenu bien philosophe, constate Olympe.
    — Bien plus que tu ne l’imagines, répond Louis en balayant du regard l’intérieur de la maison.
    Elle est exactement telle qu’il l’a quittée, familière, hospitalière, lumineuse, pourtant il a le sentiment de n’y être plus tout à fait à sa place, comme s’il était devenu un étranger. À présent, face à ces murs, ces objets, ces parfums qui sont ceux de son enfance, il comprend qu’en faisant de lui un homme libre, son périple l’a détaché au-delà de ce qu’il croyait de ses racines, des peurs qui le minaient et de cette douleur obscure que la mort de son père a autrefois installée en lui. Seules subsistent en lui ses révoltes et son envie d’agir.
    — Raconte ! insiste Laure qui l’a suivi dans sa chambre pour l’aider à déballer ses affaires.
    — J’en aurais pour des jours ! répond Louis. Je peux simplement te dire que, tout au long de cette année, chaque instant fut le plus heureux de ma vie.
    —Tu te rends compte que tu m’as abandonnée pendant un an et demi ?
    — Il le fallait. Vous quitter, vous et cette maison, était le seul moyen pour moi de comprendre que maman avait le droit d’avoir un nouvel homme. Comment vont-ils tous les deux ? Ils vont se marier ?
    — Patrick vit ici maintenant mais ils n’en parlent pas, et je ne crois pas que maman en ait l’idée, répond Laure en commençant à fouiller dans le sac de son frère. Tu m’as rapporté quelque chose ?
    Louis rit.
    — Toujours aussi curieuse, hein ? Je ne t’ai pas oubliée si c’est ce que tu veux savoir. Et j’ai pensé que ces anneaux iraient très bien à tes oreilles, dit-il en lui tendant un petit sachet en vieux cuir. À condition de les porter avec ce collier et ce bracelet, ajoute-t-il.
    — Quelle merveille ! s’extasie Laure en découvrant deux fins anneaux d’or, un collier de perles et un bracelet de jade. Merci, grand frère chéri. Ces bijoux ont dû te coûter une fortune. Où les as-tu trouvés ?
    — Chez un vieux marchand de Dezhou, une petite ville du Shandong où je me suis arrêté quelque temps. Il était tellement surpris de m’entendre lui demander leur prix qu’il a failli s’évanouir !
    — Je les porterai pour mes dix-huit ans. Maman a promis qu’elle donnerait un grand bal pour mon anniversaire.
    — Tu auras un cavalier ?
    — Si Marc Liu se décide, oui.
    — Tu es toujours amoureuse de lui ?
    — Oui, même si c’est idiot, répond Laure en agitant ses longs cheveux noirs.
    — Pourquoi ?
    — Parce que lui ne l’est pas de moi !
     

 
     
     
     
     
     
     
    20.
     
     
     
    Pour la première fois depuis des années, Marie-Thérèse Liu force son mari à s’asseoir quand il rentre, ce soir-là, chez eux et à ne pas gagner son bureau obscur à l’autre bout du yamen. Joseph ne cache pas sa contrariété mais comprend au regard glacial de celle qui partage sa vie et sa foi depuis si longtemps qu’il doit s’exécuter sans discuter. En soupirant, il s’assied sur l’une des deux chaises du cabinet de lettré où elle l’a attendu. Elle prend place sur la seconde, de l’autre côté de la table carrée qui les sépare et ne perd pas de temps en circonlocutions inutiles.
    — Joseph, j’en ai assez de vivre dans ce palais des courants d’air que ta famille habite peut-être depuis deux siècles et où je ne me suis jamais plu !
    Joseph Liu s’attendait à tout sauf à cette attaque.
    — Nous n’avons nulle part ailleurs où aller, Marie-Thérèse, répond-il. Et, de mon côté, je suis très bien ici.
    — Parce que tu passes tes journées au bureau et tes soirées dans ton cabinet, de l’autre côté de la maison ! Mais pour moi qui vis la majeure partie de mon temps ici, ce n’est plus supportable. Cette baraque est trop vieille, elle est inconfortable, elle craque de partout !
    — Je ne vois pas très bien ce que tu pourrais vouloir d’autre.
    —C’est pourtant simple, je veux une maison française comme celle d’Olympe.
    — Tu n’y penses pas, c’est contraire à nos traditions !
    — Ah, ne m’embête pas avec ça ! Nous allons entrer dans le XX e  siècle et tu voudrais, au nom des traditions, nous obliger à vivre encore dans cette bicoque pleine d’humidité, sans eau courante, en nous éclairant encore avec ces lanternes ridicules alors qu’à moins d’un kilomètre d’ici, les Français ont l’électricité et cuisinent au gaz ? Joseph,

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