La Religion
impulsion si douloureusement acquise, et donner un sérieux avantage aux tireurs turcs embusqués dans leurs tranchées. Un autre mousquet cracha et il sentit le vent de la balle. Soudain le gazi fut devant lui, les bras écartés comme un lanceur de disque, la lame ramenée en arrière pour le frapper en pleine course.
Juste avant leur collision, Tannhauser pivota sur la droite. Son mousquet accompagnant le mouvement. L’éclair du yatagan jaillit vers son crâne, mais Tannhauser expédia une flamme de six pouces et une balle d’un demi dans la poitrine du gazi .
Du moins pensait-il l’avoir fait. Mais au même instant, la tête enturbannée du gazi éclata en petits morceaux et, avant que son cadavre ne touche le sol, Tannhauser pivota dans l’autre sens, toute cette manœuvre accomplie en un seul pas, un seul tour, et il accéléra, tête baissée, pour couvrir les cent derniers pas le séparant de la porte de Kalkara.
Il fit le tour du glacis poursuivi par des balles qui arrachaient de petits nuages aux pierres du rempart. Son salut reposait dans une petite poterne découpée dans les larges portes principales. Elle était à peine assez large pour ses épaules. Une torche crépitait juste derrière. La première chose que vit Tannhauser en se précipitant à l’intérieur, ce fut Bors qui remettait de la poudre dans le canon de son mousquet noir et argent. Bors leva les yeux sur lui et renifla.
« À quoi diable servait cette pirouette ? dit-il. Je tenais ce démon en joue depuis qu’il avait quitté sa tranchée. »
Tannhauser reprit son souffle. « Et alors, pourquoi ne l’as-tu pas abattu plus tôt ?
– Parce que, dit Bors, tu aurais pu ralentir et ça n’aurait pas du tout été bon pour toi. Déjà que tu ployais sous le poids de tout cet or. » Il désigna le bracelet au poignet droit de Tannhauser. « Ça brillait comme un tabernacle dès que tu t’es levé. Pas étonnant qu’ils aient failli t’avoir. »
Tannhauser se refusa à répondre. Deux gardes rabattirent une porte doublée de fer sur la petite ouverture, avant de la renforcer avec un système complexe de barres et de verrous, processus qu’il observa discrètement, avec dans l’idée de ressortir par là, aussi vite que les circonstances le permettraient. Bors se pencha et tendit ses sacoches à Tannhauser.
« Gullu Cakie m’a dit de te donner ça, avec ses remerciements.
– Gullu ne parle pas italien.
– Il parle espagnol aussi bien que le roi Philippe, et italien mieux que toi. Dans son métier, il en a toujours eu besoin. Tu devrais être honoré d’avoir eu un tel guide. »
Les sacoches parurent nettement plus légères à Tannhauser. Il les ouvrit. À l’intérieur ne restait qu’un seul paquet de papier paraffiné, celui qui contenait le misérable quart d’opium. Plus chagrinant, en fait, son paquet de café avait disparu aussi.
« Ce vieux couillon m’a dépouillé. »
Bors lui flanqua une tape dans le dos et un sourire tordit son visage horriblement balafré. « Nom d’une verge, dit-il, c’est bon de te revoir, parce que ça manquait vraiment de rigolade.
– Dans son métier ? dit Tannhauser. Quel métier ? demanda-t-il avec un temps de retard.
– En son temps, Gullu Cakie était le voleur et le contrebandier le plus célèbre de cet archipel. Il a été condamné à la potence une vingtaine de fois et ne s’est jamais fait prendre. On dirait que tu l’as aidé à reprendre les affaires. »
Le passage menant à la poterne tournait selon un angle obtus. Au-dessus, une meurtrière béait dans le plafond. Tout intrus pouvait être arrêté à cet endroit avec des produits incendiaires et des tirs de mousquets. L’extrémité intérieure de ce corridor était barrée par une herse et au-delà, histoire de fournir un autre abattoir au cas où la herse céderait, il y avait une petite casemate sans toiture, garnie de mâchicoulis. Comme Tannhauser traversait la casemate, Bors lui prit le bras.
« Viens voir ça », dit-il.
Tannhauser le suivit dans l’escalier. Ils atteignirent le sommet, se tournèrent, et Tannhauser resta interdit, clignant des yeux face à la perspective révélée par ce point de vue surplombant.
Cela faisait presque deux mois qu’il avait quitté la ville et, à cette époque, elle n’avait essuyé que fort peu de tirs d’artillerie. Aujourd’hui c’était une sorte de terrain vague informe couvert de décombres, pavé de
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