La Religion
fourniture d’armes. « La guerre est une rivière d’or, avait-il promis à Sabato, et nous serons sur sa rive, le seau à la main. » Et il en avait bien été ainsi, car l’appétit de la Religion pour la poudre, les canons et les boulets s’était avéré insatiable, et avec leurs riches terres réparties dans toute l’Europe catholique, leurs poches étaient toujours pleines.
« Mes renseignements, dit Tannhauser à Sabato Svi, me disent que nous sommes riches et que nous nous enrichirons encore, que les Français mettent du poivre dans leur soupe ou qu’ils s’en saupoudrent les parties contre la vérole. »
Sabato éclata de rire, avec le gloussement sauvage qu’il infligeait à ceux qu’il avait battus. Dana donna un coup de hanche dans l’épaule de Tannhauser, mais les plaisirs de ses jupons avaient fait long feu. Il la congédia d’un geste et elle acquiesça en gratifiant Sabato Svi d’un regard rancunier. Tannhauser regarda le balancement de ses hanches s’éloigner et planta un index sur la table.
« Tu me demandes de passer deux mois en mer alors que le plus sanglant conflit de mémoire d’homme est en passe d’éclater juste devant chez nous ?
– Ah, nous arrivons maintenant à l’essentiel. Plutôt que de faire avancer notre position, tu resterais à jacasser avec les avaleurs de vin, à glaner des ragots sur les quais. » Sabato désigna du chef le vil entourage agglutiné autour des tables. « Tu as passé tellement de temps avec ces pourceaux assoiffés que tu finis par adopter leurs vertus.
– Paix ! dit Tannhauser, sans le moindre effet.
– Les ventes d’armes ont été bonnes, mais le canon ne rugira pas éternellement. Nos possessions sont maigres. Nous n’avons pas de terres. Nous n’avons pas de bateaux. » Sabato balaya les étagères d’une main méprisante. « Ceci n’est pas la richesse. Mais là, nous avons une chance de l’obtenir, une chance d’en rêver.
– Je ne fais pas vraiment confiance aux rêves », dit Tannhauser. Son tout dernier rêve avait été de forger une lame dont son père aurait pu être fier, et son père ne l’avait jamais vue. Ce souhait l’avait laissé avec un vide qu’il n’avait jamais été capable de combler. Il dit : « Nous ne parlerons plus de poivre, au moins pour aujourd’hui. »
Sabato saisit son changement d’humeur, posa une main sur l’épais avant-bras de Tannhauser et le serra. « La mélancolie ne te va pas. Et elle est mauvaise pour le foie, comme l’air de ce trou puant. Prenons les chevaux et allons jusqu’à Palerme voir quelle farce profitable nous pourrions bien monter. »
Tannhauser posa sa main sur celle de Sabato et sourit. « Détestable Juif, tu sais très bien que, d’ici une semaine, je transpirerai pour toi sur le bateau du Grec. »
Tannhauser jeta un regard vers la double porte ouverte qui venait de s’obscurcir d’une colossale silhouette. C’était Bors de Carlisle, gérant de facto de la taverne et dernier membre de l’improbable trinité qui maintenait l’Oracle à flot. Plus tôt ce matin-là, durant leur séance quotidienne d’entraînement, Tannhauser l’avait touché à la joue du pommeau de son épée. Bors ne s’était pas plaint, mais son erreur ne l’avait pas laissé de la meilleure humeur du monde et le bleu violacé sous son œil était aisément repérable. Sur l’échelle des pesées de la maison des douanes, Bors avait fait grimper la balance jusqu’à vingt stèles 1 , principalement logées dans ses cuisses, ses bras et sa poitrine. Comme son visage avait l’air d’avoir servi d’enclume à un forgeron, le bleu paraissait presque à sa place, mais pourtant, alors qu’il avançait dans la taverne, Bors entendit une remarque désobligeante sur cette meurtrissure toute fraîche. Pire, elle fut suivie par des éclats de rire d’ivrogne. Sans altérer son pas, Bors se tourna vers l’offenseur et le frappa d’un coup de poing colossal en pleine gorge. Sa victime s’effondra au milieu de ses compagnons, le souffle coupé, et Bors poursuivit sa traversée de la salle pour prendre sa place habituelle à la gauche de Tannhauser. Au moment où il s’asseyait, Dana posa une cruche sur la table, ainsi que sa coupe personnelle.
La coupe avait été artistiquement façonnée à partir d’un crâne humain. Bors emplit le crâne de vin, le vida et le remplit à nouveau, puis, avec un relent de bonnes manières, il remplit
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