La Religion
permettait d’éprouver une telle sérénité. Cette simple vision lui remonta le moral. Sa compréhension de Tannhauser et de ses choix s’approfondissait. Il sourit, et la gratifia d’une inclination de la tête.
« Mes salutations, mon enfant », dit-il en espagnol.
Elle fit une révérence, comme si elle trouvait cette pratique peu naturelle, une main calmant toujours le cheval. Ludovico tendit la main vers le museau du cheval qui lui lécha le sel de ses doigts. Sa langue était à la fois rugueuse et douce.
« Ce conflit est dur pour les animaux, dit-il. Le bruit, rester enfermés… Ils sentent aussi la mort et le chagrin. »
Elle regardait le cheval le lécher sans répondre.
« Amparo, c’est cela ? » Elle hocha la tête. « Est-ce que le cheval a un nom ?
– Buraq, dit-elle.
– Ah, dit Ludovico, le cheval du prophète Mahomet, dont on disait qu’il avait des ailes. Les Arabes adorent ces mythes extravagants. Mais cet animal semble assez rapide pour mériter cet honneur. Il appartient au capitaine Tannhauser ? »
Elle acquiesça. Elle ne regardait toujours pas son visage.
« Et tu es la bien-aimée de Tannhauser. »
Elle remua quelque peu sur place, assez mal à l’aise.
« Pardonne ma discourtoisie, je suis fra Ludovico. » Il courba la tête, et se rendit compte que son armure était fraîchement plaquée de sang et autres fluides nauséabonds déversés avec violence. « Pardonne aussi mon apparence immonde, que toi et Buraq devez trouver tout à fait répugnante. »
Elle se détourna et se remit à brosser l’encolure de Buraq.
Il était en droit d’en prendre offense, mais ne le fit pas. « Des soldats m’ont dit que tu lisais les paumes de la main, dit-il. Ils font grand cas de ton talent. »
Elle continuait à brosser.
« Lirais-tu les miennes ? demanda-t-il. Je te payerai.
– Je ne me fais pas payer, dit-elle. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut vendre.
– C’est quelque chose de sacré, alors. »
Elle ne se retourna pas. « C’est quelque chose qui ne vient pas de moi, et donc ce n’est pas à moi de le vendre.
– D’un monde au-delà de celui-ci ? » dit-il.
Il ne s’attendait pas à de la dialectique. Pourtant, elle avait l’air d’affirmer ce qui était pour elle d’une simplicité évidente.
Il dit : « Est-ce le pouvoir de Dieu ? »
Elle s’arrêta, comme si elle n’avait jamais considéré cela auparavant, puis dit : « Le pouvoir de Dieu parle à travers toutes choses.
– Toutes les choses ? Corbeaux, craves à bec rouge, chats ?
– Et les pierres et les arbres et la mer et le ciel au-dessus. Bien sûr.
– Et l’Église ? » dit-il.
Elle haussa les épaules, comme si elle la considérait comme le plus pauvre de tous les véhicules. « Ça aussi. »
Ludovico tendit sa paume. Comme si c’était une corvée à terminer rapidement, Amparo coinça la brosse sous son bras et prit sa main. Elle caressa ses lignes du bout des doigts. Ce toucher lui plaisait. Le visage de la fille ne révélait rien.
« Certaines mains parlent, d’autres non, dit-elle en la lâchant. La vôtre ne dit rien. »
Ce n’était pas dit comme une rebuffade, mais comme un simple fait. Néanmoins et même s’il ne faisait pas grand cas de telles diableries, il était déçu. Il découvrit aussi qu’il la méprisait. Ce sentiment lui vint d’un coup, comme une nausée. Ses manières l’offensaient. Cette fille gracile, cette souillon exotique, quelle contribution apportait-elle au siège ? Ou à quoi que ce fût d’autre sur cette terre qui ait une quelconque valeur ? Elle brossait le cheval de son maître et écartait les jambes pour lui. Elle faisait commerce d’augures et de superstition avec la soldatesque. Elle affichait ses seins dans sa robe de dévergondée. Il avait déjà vu ses semblables, du haut en bas de l’échelle. Des femmes qui justifiaient leur existence grâce au trou entre leurs jambes et rien d’autre. Qui échangeaient leur chair pour vivre, par vanité et de vagues connaissances du pouvoir, par cette abomination faussement baptisée amour. Elles étaient comme une maladie. Il remarqua pour la première fois que ses yeux étaient de couleurs différentes. Un marron, un gris. Un des stigmates les plus connus de la sorcellerie, comme l’attestaient des autorités aussi diverses qu’Apollonides, Kramer et Sprenger. Les émanations des rayons issues de tels
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