La Religion
regarde. Je serai en dette envers toi, ce qui est quelque chose que tu serais sage d’apprécier. Veille à ce que ce soit fait.
– Et si je ne le fais pas ? »
Ludovico lui prit le bras, gentiment, et l’éloigna d’Anacleto. Il se pencha vers elle et parla doucement. « Tannhauser a l’intention d’épouser ta maîtresse. »
Amparo cligna, mais ne semblait pas troublée. « C’est leur accord, dit-elle. C’est l’accord qu’ils ont passé depuis le début.
– Le mariage est un moyen de paiement ? »
Amparo acquiesça, ses yeux se reportant vers le sol.
Ainsi, Carla l’avait dupé… Un espoir nouveau fleurit dans sa poitrine.
« Peu importe, dit-il. Tannhauser est amoureux de Carla maintenant.
– Il l’aime, corrigea-t-elle, comme je l’aime moi aussi.
– C’est un homme. Comme tu le sais mieux que quiconque. » Il vit la graine du doute prendre racine. « Il m’a dit lui-même qu’il était amoureux d’elle. Et ils ont été surpris dans les affres d’un rendez-vous amoureux. Tu es trahie. »
Ces mots lui percèrent le cœur. Elle porta ses deux mains à sa bouche en secouant la tête.
« Demande à ce pauvre Anacleto, et dis-lui qu’il ment. »
Elle essaya de se dégager, mais il la tenait bien. « Regarde par toi-même et tu verras. » Il la lâcha. « Maintenant, fais ce que je t’ai demandé. Considère ma requête pour la mission de charité qu’elle est, et Dieu te guidera en cette matière, comme en toutes choses. »
TANNHAUSER ÉTAIT ASSIS dans son bain et il regardait le soleil descendre derrière Sciberras. Le disque solaire était d’un rouge sombre et violent et il était enrubanné de filets de fumée qui s’élevaient du no man’s land débordant de cadavres en contrebas. Il tenta, brièvement, de trouver dans ce spectacle une signification au-delà de l’évident, mais son esprit était trop las pour de telles vanités, et il s’abandonna à une stupeur, un effroi mêlé d’admiration, ne laissant nulle place à la philosophie.
Son corps n’était qu’une masse de douleur, de bleus et de lacérations. Sa peau était un patchwork de bleu et de jaune. Des points de suture en boyau de mouton pointaient çà et là, certains cousus de ses propres mains. Grimper dans le baril l’avait presque achevé. L’eau de mer exacerbait les morsures de ses blessures. Ses yeux étaient ensablés de poudre noire et de poussière. Ses mains étaient gonflées et comme des gourdins, ses doigts enflés comme des tubercules. Si un boulet sorti d’une couleuvrine turque lui était tombé sur la tête, il n’y aurait pas trouvé cause de grand regret ; mais c’était peu probable, car les canons de siège étaient silencieux, et leurs équipes de Topchu sans doute aussi épuisées que lui.
Ce matin-là, après avoir lancé de nombreuses escarmouches pour couvrir son avancée, Mustapha avait sorti sa deuxième tour roulante. Cette fois, les Turcs avaient renforcé sa moitié inférieure contre les coups de canon avec des gabions emplis de terre et de pierres, et des sections de plaques de fer rivetées aux poutres et aux étais. Ils l’avaient fait rouler jusqu’aux restes du bastion de Castille et les tireurs d’élite des janissaires à son sommet avaient contraint la garnison et les ouvriers alentour à s’abriter dans les ruines pour prier. Après quelques trop longues heures dans cet état désolant, et voyant un fort rassemblement de troupes qui présageait un assaut majeur, La Valette avait joué une variation de la tactique de la veille.
Ils ouvrirent un tunnel dans une partie intacte de l’enceinte à quelque distance à l’est de la brèche, dans un endroit invisible des mousquetaires de la tour. Un groupe d’assaut en sortit, commandé par le chevalier commandeur Claramont et don Guevarez de Pereira. Une douzaine de chevaliers de la langue allemande se propulsèrent à l’avant des volontaires, et ils chargèrent la tour comme des monstres écumants, une volée de balles turques lâchées d’au-dessus les éclaboussant d’étincelles pendant leur course.
Les détachements de fantassins azebs qui gardaient les échelles furent hachés en morceaux en quelques secondes par ces hommes du Nord détraqués, qui grimpèrent ensuite les échelons et envahirent les galeries, nettoyant la tour de ses occupants, étage par étage. Tout cet édifice colossal se balançait sur ses amarres au rythme de la violence
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