La Religion

Bors.
    « Suis-les, mais n’engage pas le combat. Je te rejoins. »
    Bors acquiesça et talonna son cheval. Tannhauser releva le chien de son pistolet, raccourcit sa prise sur les rênes et, d’arrêté qu’il était, Buraq partit immédiatement au grand galop. Mattias se dressa sur ses étriers tandis qu’ils filaient dans l’ouverture vers Abbas, réduisant la distance entre eux comme le faisait le chevalier de l’autre côté, lance baissée. Abandonnant sa victime, Abbas se releva et, d’un rapide mouvement de tête, il vit ses deux exécuteurs potentiels qui le prenaient en tenaille. Il leva son épée pour affronter la charge de Tannhauser, et, d’un coup de pouce, Ibrahim dégagea la jugulaire de son casque et le jeta de côté. À trente pieds, Abbas écarquilla les yeux en le reconnaissant, et Tannhauser pointa derrière lui avec son pistolet. Avec le pas épuisé de qui est grièvement blessé, Abbas se tourna pour faire face à la lance qui arrivait. Tannhauser se pencha sur l’encolure de Buraq qui sauta un tas de cadavres sur la gauche d’Abbas et atterrit sans perdre de vitesse. De surprise, la tête du chevalier qui chargeait se tourna vers lui. À dix pieds de distance, Tannhauser visa et lui tira en pleine poitrine.
    La balle d’acier traversa la plaque de poitrine, le chevalier partit en arrière sur sa selle, sa lance s’envolant toute seule, et retombant pendant que son cheval continuait à avancer. Tannhauser arrêta Buraq et le fit tourner. Le chevalier était retombé en avant. Abbas fit étinceler la lame de son épée brandie juste devant la tête du cheval qui vira brutalement, et alors que le chevalier s’effondrait à terre, sa main se prit dans les rênes qui firent s’arrêter la bête. Abbas tomba à genoux et s’appuya sur son épée.
    Tannhauser descendit de cheval près de lui. Abbas était si couvert de sang qu’il était futile de chercher à localiser ses blessures. Il leva les yeux.
    « Ibrahim…
    – Père, dit Tannhauser. Aie foi. »
    Il releva Abbas et l’aida à s’appuyer contre le flanc de Buraq. Il s’accroupit et joignit ses mains sous le pied d’Abbas. « Avec moi, allez. » Il le souleva, Abbas lança sa jambe, atteignit la selle et s’allongea en tenant le col de Buraq entre ses bras. Tannhauser prit la bride.
    « Prie, dit-il. Adh-Dhariyat . »
    Et pendant que Tannhauser menait Abbas vers le cheval immobile, ils chantèrent les versets ensemble.
    « Par les vents dispersants qui s’entrelacent, Et ceux qui portent le fardeau de la pluie, Et ceux qui glissent avec aisance sur les mers, Et ces anges qui sèment des bénédictions sur ordre d’Allah, En vérité ce qui t’est promis est sûrement vrai, Et en vérité, le jugement et la justice adviendront. »
    Tannhauser se pencha sur le chevalier tombé. Une mousse rouge faisait des bulles au sortir de ses narines, et sa barbe luisait de sang. Il s’accrochait aux rênes de son cheval et Tannhauser marcha sur son bras pour les lui arracher. Il monta sur le cheval de guerre qui se mit à ruer. Il serra les genoux pour le maîtriser. Buraq s’approcha et sa présence sembla calmer l’autre. Abbas s’accrochait à sa courte crinière blonde, remuant les lèvres sans émettre un son. Tannhauser prit les rênes de Buraq et les ramena vers le bassin.
    Il regarda vers le sud et aperçut le carré de Ludovico, déjà à mi-chemin de la vallée menant au défilé. Orlandu était sauf. Assez loin derrière eux et sur leur gauche, deux autres cavaliers suivaient : Gullu Cakie et Bors. Comme la vallée était semée du va-et-vient des messagers de La Corna, de quelques chevaliers nouvellement arrivés du Borgo et de files de blessés trébuchants, à cheval ou à pied, aucun des deux groupes n’attirait l’attention. Au nord, la bataille s’était déplacée vers les pentes herbeuses et les murets de calcaire qui bordaient la baie de Saint-Paul. Au large s’étendait la pagaille de navires, et le long voyage de retour vers la Corne d’Or.
    Tannhauser mit les deux chevaux au trot et contourna les arrières chrétiens où les Sari Bayrak continuaient à battre en retraite en combattant férocement. Entre eux et l’engagement principal, s’étendait un espace où le tumulte était moins sauvage et Tannhauser prit cette direction. Ils chevauchaient à l’intérieur de cet immense arc de tuerie comme des êtres transportés par sorcellerie dans le rêve de