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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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on lèvera nos coupes à ta santé, pour l’éternité, mais mon butin sera plus utile à ses proches qu’à toi. »
    Bors retint de justesse un spasme venu des tréfonds de son corps. Il s’essuya la bouche, leva la main et prit le bras de Tannhauser. Malgré sa condition extrême, sa poigne était encore comme un étau.
    « Gullu va veiller à ce que ma carcasse regagne le Borgo, dit-il, tu me feras enterrer proprement ? »
    Tannhauser fit oui de la tête. Il serra encore une fois sa nuque de taureau, car sa langue était encore nouée.
    « Maintenant, embrasse-moi, mon ami, et va-t’en, dit Bors, parce que je n’aime pas les au-revoir interminables. »
    Tannhauser prit sa tête massive entre ses mains. Il l’embrassa sur les lèvres.
    « Jusqu’à la fin, murmura Tannhauser.
    – La toute fin », dit Bors.
    Tannhauser étouffa la boule dans sa gorge, se releva et commença à avancer vers Buraq.
    « Mattias… » appela Bors.
    Tannhauser se retourna. Il regarda dans les sauvages yeux gris nordiques.
    « Reste avec dame Carla, et ne fais pas l’idiot », dit Bors. Il sourit. « Vous ferez le plus adorable couple de nobles depuis Salomon et la reine de Saba. » Il prit une grande inspiration pour rire de sa propre plaisanterie, comme à son habitude, et quelque chose lâcha en lui, et il ne laissa pas ressortir son souffle. Sa tête retomba contre le tronc de l’arbre. Et ainsi mourut Bors de Carlisle.
    Tannhauser monta sur Buraq et s’enfonça dans la poussière soulevée par le vent.
     
    LES DEUX CHEVALIERS et le garçon à demi nu avaient quitté la plaine polluée et pris la piste menant à Corradino à un pas si lent qu’ils auraient aussi bien pu ramper à quatre pattes. Au sommet, ils s’arrêtèrent. Autour d’eux, çà et là, se dessinaient les tranchées turques abandonnées et pleines d’ossements, de masures improvisées, d’équipements oubliés, de canons éclatés et de rangées de côtes animales et humaines étalées, couvertes de lambeaux de peau raidis et desséchés. Et dans le lointain, en contrebas, se déroulait le paysage qu’Orlandu avait pensé ne jamais revoir.
    Le Grand Port étincelait de bleu saphir. Les péninsules jumelles de L’Isola et du Borgo lui étaient aussi familières que sa main, et pourtant elles semblaient modifiées pour toujours. La grande enceinte était fracassée de Saint-Michel jusqu’à la porte de Kalkara, et bordée d’un incalculable nombre de morts. Des sections entières des deux cités donnaient l’impression d’avoir été aplaties au sol par la rage d’un titan. Les ailes déchiquetées des moulins de L’Isola ne tournaient plus, malgré le sirocco qui montait en puissance. Pourtant, dans ce qui ressemblait à des nécropoles, les cloches des églises carillonnaient sans cesse, et, quelque part dans ce marasme, elles célébraient vie et espoir, et le futur à venir.
    La gorge d’Orlandu se serra. Les musulmans avaient été repoussés de leurs rivages, et sur ces rivages ils n’auraient jamais dû venir ; mais il avait été témoin de leur massacre dans la baie de Saint-Paul, avec une angoisse à peine moins déchirante que celle qu’il avait ressentie pour les hommes de Saint-Elme. Il se demandait ce que Tannhauser dirait, et Tannhauser dirait que c’était sans importance, parce que c’était fait, et ce qui comptait c’étaient les choses qu’ils feraient ensuite. Orlandu se tourna pour observer Ludovico.
    Le chevalier noir à la mortelle blessure était un mystère. Ludovico de Naples. Orlandu n’avait jamais entendu parler de lui, or il croyait bien avoir connu tous les plus vaillants frères de l’ordre. De plus, avec lui il y avait ce jeune borgne hanté qu’Escobar de Corro avait appelé Anacleto. Orlandu avait présumé que ces hommes étaient des alliés de Tannhauser. Et puis Bors les avait soudain attaqués dans le défilé, et les avait presque tous tués. Maintenant, Ludovico était voûté sur sa selle. Il respirait par petits coups superficiels. Sa souffrance était grande. Il vit qu’Orlandu le regardait et redressa la tête.
    « Es-tu heureux de rentrer chez toi, mon garçon ? » demanda-t-il.
    Sa voix était gentille. Ses yeux d’obsidienne irradiaient encore quelque chose comme de l’amour.
    « Oui, messire, répondit Orlandu. J’ai une dette éternelle envers vous. »
    Ludovico réussit à sourire. « Tu as les manières et le maintien d’un homme.

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