La Religion

frisson soudain se propagea sur toute sa peau.
    Elle souhaita qu’ils aient scellé leur accord d’un baiser.

MARDI 15 MAI 1565
    La route de Messine – L’Oracle
    TANNHAUSER CHEVAUCHAIT, traversant des collines peintes de mauve et de mordoré par le coucher de soleil. Les femmes de la villa Saliba l’avaient coincé comme deux lévriers qui ramènent un daim, et pourtant il était très content.
    Amparo, d’abord, était une trouvaille. Son allure sexuelle, dont elle semblait parfaitement ignorante, lui démangeait l’esprit et le bas-ventre. Son appareil divinatoire était une véritable merveille. En majorité, de tels engins étaient des sphères de cristal pur. Grubenius avait eu un miroir d’obsidienne polie. L’appareil d’Amparo tenait plus de l’effet d’optique – construit un peu comme un article de fantaisie –, mais avec le génie divinatoire qui pave le chemin de la connaissance, elle lui avait reconnu une fonction bien plus haute. C’était un tube de cuivre avec une lentille sur le devant, alors qu’à l’autre bout deux minces roues de cuivre à triple rayon tournaient sur un axe, l’une contre l’autre, mais indépendamment. Entre les rayons de chaque roue était disposé un entrelacs complexe de morceaux de verre teinté. Le long du tube étaient fixées deux fines bandes de miroir, leurs surfaces réfléchissantes opposées selon un angle de trente degrés.
    À première vue, les roues paraissaient sombres, mais quand on les dirigeait vers la lumière du soleil ou d’une chandelle, une myriade de couleurs apparaissait, et quand on faisait tourner le tube d’un mouvement de doigts, les couleurs, et la somme de leurs parties, tournoyaient en d’étonnantes combinaisons qui défiaient l’œil. Le moindre mouvement des roues modifiait les couleurs visibles et Tannhauser comprit qu’en altérant la vitesse de leur rotation, et leur vitesse relative l’une par rapport à l’autre, le temps lui-même était brisé en particules infiniment petites. Plus encore, le caractère du champ de vision dépendait de la source d’illumination – plus on était près de la flamme, plus les couleurs étaient incandescentes. Le côté fumé de la chandelle, l’intensité du soleil, la texture de l’éther, ces trois éléments changeaient ce qui se modifiait quand ils changeaient eux-mêmes. Et quand les roues s’immobilisaient, et que le hasard choisissait une combinaison particulière de couleurs et de lumière, là, pendant un instant, un tesson d’éternité se retrouvait captif. En bref, dans le tube divinatoire de la fille se trouvait un modèle du cosmos – du gigantesque flux, du destin lui-même.
    Parfois Amparo ne voyait rien d’autre que la beauté des couleurs ; d’autres fois, des images d’une clarté saisissante lui emplissaient l’esprit. Quelquefois, elle entendait la voix des anges. Personne ne pouvait connaître le futur ; Amparo n’y prétendait pas. Mais dans l’infinité des choses qui pourraient arriver un jour, reposent toutes les choses qui seront. C’était cette possibilité qu’elle voyait dans le vortex. Ce qui reposait dans le creuset de ce qui n’était pas encore. C’était, du moins à ce qui lui semblait, ce qu’Amparo comprenait, encore que d’instinct.
    La nuit tombait quand il approcha de la porte nord. Dans les dernières lueurs du couchant, un carrosse à deux roues grimpait la route qui montait vers lui. Le conducteur portait un casque et une plaque de cuirasse, et le système de mise à feu d’un mousquet luisait près de son siège. Quand le véhicule le croisa, le visage jeune et chafouin d’un prêtre le regarda de sous son chapeau. Tannhauser n’y prêta pas vraiment attention. Il passa le garde en faction à la porte et traversa la ville. L’agitation qui marque la fin du jour avait presque cessé et bientôt les rues furent tranquilles. Il atteignit le front de mer et se dirigea vers l’Oracle.
    Ce soir, il allait s’enivrer et passer son désir sexuel sur Dana. Sans doute, songeait-il, cette impulsion n’était-elle pas très galante, mais Amparo et dame Carla avaient enflammé ses fantasmes. La vie était ainsi faite. Il se demandait quel son chacune d’elles émettrait dans les affres de l’amour. La férocité avec laquelle Carla attaquait sa viole de gambe résonnait encore dans son esprit. Mieux encore, elle était visiblement d’une haute intelligence, ce qui représentait une force