La Révolution et la Guerre d’Espagne
détenus
du P.O.U.M. et de la C.N.T.
Ceux qui ont vaincu la Révolution vont-ils gagner la guerre
? A cette condition seulement, les sacrifices et les souffrances du peuple
espagnol pourraient avoir un sens, leurs propres actes une justification. Les
hommes qui avaient commencé cette guerre dans le désordre et l’enthousiasme, ou
du moins ceux qui restent, continuent à se battre : ils le font désormais
dans l’ordre et la discipline, sous un gouvernement qui mérite les éloges de
Winston Churchill et du Times. Mais, pour se battre contre Franco et ses
alliés, l’Espagne « démocratique » et respectable de 1937 est aussi
isolée que l’était l’Espagne révolutionnaire de 1936.
Partie 2
L’Europe et la guerre
« Si la démocratie est vaincue dans cette bataille, si
le fascisme triomphe, le gouvernement de Sa Majesté peut revendiquer cette
victoire pour lui-même » [309] .
Lloyd George, en s’exprimant ainsi, souligne un fait nouveau : aux yeux du
monde, la guerre d’Espagne a pris en 1937 l’aspect d’une guerre idéologique.
Sans qu’aucune autre nation ne s’engage ouvertement dans le conflit, celui-ci
est devenu européen. Désormais, et surtout après l’affaiblissement des partis
révolutionnaires du côté républicain, la guerre d’Espagne n’est plus qu’un
aspect particulier de la lutte qui oppose en Europe les grandes puissances. C’est
elle qui a déterminé le rapprochement italo-allemand, la formation de l’axe
Rome-Berlin. C’est elle aussi qui fera apparaître sous une lumière brutale les
incertitudes et les contradictions des démocraties occidentales, France et
Grande-Bretagne, et par contrecoup infléchira la politique russe vers une
prudente expectative.
L’équilibre européen et la guerre d’Espagne
Pour comprendre à quel point la guerre d’Espagne a
bouleversé l’équilibre politique européen, il faut se rappeler qu’en 1936 la
position allemande en Europe est encore précaire. Depuis l’arrivée des nazis au
pouvoir en 1933, l’Allemagne a rompu avec la Société des Nations. Son
réarmement et les revendications d’Hitler inquiètent les petits pays voisins,
sans que sa puissance les impressionne encore. La position diplomatique des
puissances occidentales parait autrement forte. L’entente semble solide entre
la France, la Grande-Bretagne et la Belgique. L’influence Française reste
considérable dans les Balkans, malgré l’assassinat, en 1934, à Marseille, d’Alexandre
de Yougoslavie. Enfin le gouvernement de la III e République, pour
faire face au danger que constitue le réarmement allemand vient de renforcer à
l’Est son système d’alliance : en 1935, les traités d’assistance mutuelle
ont été signés entre l’U. R. S. S. et la France d’une part, l’U. R. S. S. et la
Tchécoslovaquie de l’autre. Le rétablissement de la puissance allemande
inquiète en effet beaucoup les Russes : Hitler n’a-t-il pas désigné le
« bolchevisme » comme le premier adversaire à combattre ?
Le gouvernement fasciste italien se trouve lui aussi en 1935
dans une situation difficile. Sa campagne contre l’Ethiopie, destinée à créer
un véritable « empire » africain, a surtout prouvé son inefficacité
militaire ; et une large majorité est trouvée à la Société des Nations
pour décider de prendre des sanctions contre le gouvernement de Mussolini.
L’État fasciste italien et l’État nazi allemand, ainsi
isolés en Europe, ont trouvé dans le conflit espagnol l’occasion d’un
rapprochement. Cette guerre, en permettant une confrontation politique
générale, a précipité alliances et revirements ; elle a contraint chaque
puissance à prendre position. En ce sens, elle a créé les conditions politiques
de la guerre mondiale.
Pour les dictatures d’Europe centrale, le conflit espagnol
ne représente pas seulement l’épreuve-test de la faiblesse des
démocraties ; elle est la « répétition générale », le premier
choc, le banc d’essai de leurs armes contre celles venues de Russie ou de
Tchécoslovaquie, la première utilisation d’un matériel destiné à être employé
sur de plus vastes champs de bataille : Il n’est que de lire les multiples
articles ou ouvrages écrits sur ce thème pour juger de l’intérêt qu’a suscité
sur le plan militaire cette « guerre limitée ».
Par contraste, l’importance stratégique ou économique de l’Espagne
passe au second plan ; s’il est
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