La Révolution et la Guerre d’Espagne
sa politique. C’est en vertu de ce décret que seront jugés les
dirigeants du P.O.U.M., pour des actes antérieurs à sa promulgation.
Cette politique de répression, cependant, ne s’étale pas au
grand jour. Comme avant la révolution, les réunions syndicales doivent être
autorisées par le délégué à l’Ordre public, après une demande faite au moins
trois jours à l’avance. Comme avant la révolution, la censure, justifiée au
départ par des nécessités militaires, s’exerce maintenant sur les prises de
position politiques. Dès le 18 mai, Adelante paraît avec une première
page en blanc sous le titre : « Viva Largo Caballero » . Le 18
juin, le gouvernement se réserve le monopole des émissions radiophoniques et
saisit les émetteurs des centrales. Le 7 août, Solidaridad obrera est
frappée de cinq jours de suspension pour avoir commis une infraction aux
instructions de la censure en paraissant avec des « blancs » à la place
des passages censurés : la censure fonctionne et exige qu’il ne reste pas
trace de son activité. Le 14 août, une circulaire interdit toute critique à l’égard
du gouvernement russe: « Avec une insistance qui permet de deviner un plan
précis destiné à offenser une nation exceptionnellement amicale, créant ainsi
des difficultés au gouvernement, divers journaux se sont occupés de l’U.R.S.S.
d’une manière qui ne peut être admise... Cette licence absolument condamnable
ne devrait pas être permise par le Conseil des censeurs... Le journal qui ne se
conformerait pas serait suspendu indéfiniment, même s’il a été censuré ;
dans ce cas, le censeur sera traduit devant le tribunal spécial chargé de
crimes de sabotage. » La censure jouera, de même que la police et la
poste, un rôle actif dans la scission de l’U.G.T., « coupant »
systématiquement les déclarations de l’exécutif Caballero ou les articles de la
C.N.T. consacrés à cette question.
Le S.I.M.
Il faut réserver une place à part, dans cet appareil de
répression, au S.I.M. – Servicio de investigacion militar – créé, sur
une initiative d’Indalecio Prieto, par un décret du 15 août 1937. Initialement
service de contre-espionnage, il devient très vite une police politique
toute-puissante, pouvant, sans jugement et sans autre enquête que la sienne,
décider arrestations ou libérations. Après le républicain Sayagües, il est
dirigé par le socialiste Uribarri, ex-officier de la garde civile qui s’entend
directement avec les Russes des « services spéciaux », puis, après sa
fuite en France [300] par Santiago Garcès qui passe pour avoir été l’un des auteurs de l’assassinat
de Nin. Prieto, créateur du S.I.M., a longuement raconté comment il a vu le
service lui échapper. Le commandant Duran, communiste, chef du S.I.M. de
Madrid, nomme des militants communistes à tous les postes importants et les
« techniciens » russes protesteront quand Prieto voudra les renvoyer
dans l’armée. Quelques mois après sa création, le S.I.M., qui échappe
complètement à l’autorité du ministre de la Défense nationale, compte plus de
6000 agents, et dirige des prisons et des camps de concentration [301] .
L’État fort
Ainsi l’État « démocratique » reconstruit par
Largo Caballero devient-il sous Negrin un État fort. Il se proclame toujours «
démocratique et parlementaire », mais les Cortes squelettiques ne sont
plus qu’une assemblée de figurants, et il n’est question d’élections ni aux
Cortes ni aux Conseils municipaux [302] .
Aucune opposition véritable ne peut s’exprimer au grand jour et la critique est
assimilée à la trahison. On continue à parler de la « révolution
populaire », mais la réalité est une constante remise en question des
conquêtes révolutionnaires. Le gouvernement Negrin s’est affirmé partisan de la
liberté des cultes, et, sous la patiente impulsion d’Irujo, est parvenu à
desserrer l’étreinte qui pesait sur les prêtres et l’Église catholique. Bien
des propriétaires fonciers portés « disparus » reviennent, d’autres
sortent de prison. Tous réclament leurs terres, saisies en 35 : ils ont pour
eux le droit et la loi, ainsi que l’appui gouvernemental [303] . En Catalogne, l’application
du décret de collectivisation est suspendue, parce que « contraire à l’esprit
de la Constitution ». Le décret du 28 août 1937 permet au gouvernement,
par l’intervención ,de prendre en
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