La Révolution et la Guerre d’Espagne
l’accord et même contre la volonté de l’Angleterre lui semble d’emblée
difficile.
Son retour en France est marqué par une nouvelle déconvenue.
Une campagne de presse a été lancée dans l’Echo de Paris par Kérillis,
qui a rendu publiques certaines mesures décidées pour venir en aide à l’Espagne.
L’offensive a commencé par un article de Cartier, publié le 23 juillet et intitulé :
« Le Front populaire français osera-t-il armer le Front populaire
espagnol ? » Il se terminait sur une phrase extrêmement
violente : « On hésite encore à croire que le gouvernement puisse
commettre ce crime contré la nation. » Les détails mentionnés dans les
articles de l’Echo de Paris concernent des livraisons d’avions et de
bombes d’avion, de batteries de 75 et de mitrailleuses. Il est intéressant de
noter que l’on y trouve une allusion au principe de non-immixtion que le
gouvernement français devait prendre à son compte une semaine plus tard.
Sans doute ne fallait-il pas s’attendre à ce que l’opposition
de droite facilitât la tâche du gouvernement français. Mais, au sein même du
gouvernement, Blum rencontre des oppositions, ainsi que dans les milieux
parlementaires modérés. Le Sénat, traditionnel terrain d’opposition
conservatrice, a sans doute été le plus ému : ce qui explique la véhémence
des propos de son président, Jeanneney :
« Que nous puissions être amenés à faire la guerre pour
les affaires d’Espagne…, personne ne peut le comprendre. » La prise de
position radicale est plus inquiétante encore : Les radicaux détiennent
dans le gouvernement français les deux postes-clés des Affaires étrangères et
de la Défense nationale ; leur passage dans l’opposition provoquerait une
grave crise ministérielle. On peut imaginer de quel poids sera, dans ces
conditions, l’intervention d’Edouard Herriot qui rejoint les conseils de
prudence d’Eden et de Jeanneney : « Ne va pas te fourrer
là-dedans » [316] :…
Comment expliquer l’affolement des milieux politiques
français devant la seule perspective de livraisons d’armes au gouvernement
légal de l’Espagne ? D’abord par le pacifisme de l’époque. La gauche
française, jusque vers 34, n’a cessé de proclamer son attachement à la paix et
sa volonté de la sauvegarder par tous les moyens, et cela aussi bien du côté
radical que du coté socialiste. La France a accepté sans réaction des mesures
aussi graves que le réarmement allemand et, plus récemment, la remilitarisation
de la Rhénanie, dans la seule crainte de provoquer un conflit. L’espoir de
beaucoup de socialistes réside dans un nouveau Locarno qu’ils envisagent de
conclure avec l’Allemagne et l’Italie fasciste. Sans doute ces illusions ne
sont-elles pas partagées par Blum ; il prévoit le conflit et accepte d’entreprendre
un réarmement français qui doit permettre de rattraper en partie l’avance
allemande dans le domaine militaire. Mais lui-même est un modéré qui ne saurait
envisager de prendre seul le risque de déclencher la guerre. On a ajouté, et
Blum lui-même l’a affirmé [317] ,
que la menace de la guerre extérieure se doublait en France d’une menace de
guerre civile : « Nous aussi en France nous étions sur le point de
connaître un coup d’État militaire. » Il faut admettre qu’une fraction au
moins de la droite, très nationaliste depuis 1919, faisait preuve depuis
quelques années d’un loyalisme beaucoup moins intransigeant à l’égard de l’État ;
par sympathie pour les régimes allemand et italien, elle prônait à son tour une
politique pacifiste, faisant passer ses inquiétudes intérieures, augmentées par
la crise sociale de 36 et l’avènement du Front populaire, avant ses
préoccupations extérieures. Cette opposition de droite ne se manifeste pas
seulement dans les articles de l’Echo de Paris. Blum déclare, à propos
des événements de 38 : « Il existait au Parlement français des hommes
politiques considérables qui étaient les représentants de Franco. »
Dans des circonstances aussi peu favorables, le conseil des
ministres réuni le 25 juillet n’ose plus envisager d’aider ouvertement les
républicains espagnols, mais cherche uniquement le moyen de camoufler les
livraisons d’armes ; on utilisera le moyen d’une vente fictive au
gouvernement mexicain, qui reste libre, lui, d’utiliser l’armement ainsi mis à
sa disposition en faveur
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