La Révolution et la Guerre d’Espagne
problème de l’orientation à donner au régime. L’échec
devant Madrid transforme entièrement la question. Il est nécessaire de
maintenir un pouvoir fort, devant une situation militaire encore incertaine, d’éviter
les querelles intérieures et, par suite, d’ajourner le choix pour ou contre la monarchie.
Le statu quo provisoire ne suffit plus. Il faut, selon l’expression de
Suñer [412] ,
« donner au mouvement le caractère et la figure d’un État ». Franco n’est
plus seulement le « généralissime », il devient le chef inspiré du Movimiento, le Caudillo [413] .
Le général Franco
Ainsi s’achève une première évolution politique ; celui
qui n’était qu’un des principaux chefs du Movimiento est devenu le chef
militaire suprême. Le général Franco ne va pas tarder à se transformer en
maître et en sauveur.
Il n’a pourtant pas grand prestige physique, ce petit homme
trapu, « gras, pimpant, présomptueux », au visage arrondi, à la
moustache noire ; sa silhouette courte, à l’embonpoint précoce, contraste
sur les photos avec celles de Mola et de Kindelan. Mais ce manque de prestance
ne l’a pas empêché de faire une carrière militaire extrêmement brillante,
capitaine à 21 ans, général à 32 ans. C’est exceptionnel, même dans l’armée
espagnole.
Né le 3 décembre 1892, Francisco Franco Bahamonde [414] est le deuxième
enfant de Nicolas Franco, commissaire de la Marine au Ferrol [415] . Ses études, au
Sacré-Cœur du Ferrol, puis au collège de la Marine, le destinent connue son
père et son grand-père maternel à une carrière maritime. C’est un hasard qui l’en
a détourné, la suppression des admissions à l’Ecole navale. Francisco devient
élève-officier d’infanterie à l’Ecole de Tolède. Il en sort sous-lieutenant en
1910, mais sa véritable carrière commencera après deux ans de garnison, lorsqu’il
sera envoyé au Maroc pour prendre part à la bataille qui se déroule autour des
anciens « Présides » [416] ,
Melilla, Ceuta et Larache. Dans les combats difficiles et peu glorieux du
début, les pertes sont nombreuses, et il est un des rares à rester indemne
après quatre ans de guerre. Il sera blessé en 1916 ; à cette époque, il
est déjà chef de bataillon. Après une longue interruption, il revient au Maroc
et se fait affecter à la Légion espagnole, qu’organise alors Millan Astray. Sa
réputation de chef militaire et d’organisateur est née à la suite de la part
prise aux combats du Tercio de 1920 à 1924. Ses biographes lui donnent
le premier rôle dans le débarquement d’Alhucemas, qui, au lendemain d’une série
d’échecs, redonne courage à l’armée d’Afrique. Il est couvert d’honneurs,
devient le plus jeune général de l’armée, le successeur de Millan Astray à la
tête de la Légion. Enfin, à son retour en Espagne, on lui confie la direction
de l’Ecole militaire générale, qui vient d’être fondée à Saragosse.
Il se trouve donc un des plus en vue parmi les chefs
militaires quand survient la révolution de 1931. La suite de son histoire se
confond avec celle de la République. Il est tantôt éloigné, tantôt placé au
sommet des honneurs. Il est certain qu’il a longuement hésité avant d’entrer
dans le complot contre le gouvernement républicain. Il a effectué des démarches
auprès de Pozas, puis d’Azaña, entre février et juillet 36, pour leur demander
de briser la révolution. Cela peut être considéré comme une manifestation de
son hostilité à la gauche révolutionnaire ; mais c’est aussi la preuve qu’il
a voulu donner à la République une chance – quitte à la combattre ensuite avec
acharnement et jusqu’à sa défaite totale.
Car si Franco est prudent et lent dans ses décisions, il les
maintient ensuite avec une volonté et même un entêtement qui constituent un des
traits saillants de son caractère. Il possède à coup sûr des qualités
exceptionnelles, une intelligence réelle, une profonde astuce, qui font de lui
un politique autant et plus qu’un militaire. Il sait parfaitement dissimuler sa
pensée. Il est calme, discret, peu loquace, ce qui semble peu conforme au
tempérament espagnol (mais il faut se rappeler qu’il est galicien). Il sait
admirablement profiter des occasions qui lui sont données.
Bien des hasards heureux sont intervenus dans la vie du général
Franco. Son entrée dans l’armée de terre, la guerre du Rif, la disparition
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