La Révolution et la Guerre d’Espagne
illettré sans envergure, dont Franco souligne complaisamment à l’ambassadeur
Faupel qu’« il n’était nullement à la hauteur des capacités exigées d’un
chef de la Phalange. » Dans la même conversation, le Caudillo avait fait
allusion à « un essaim de jeunes gens ambitieux, qui exerçaient sur lui
leur influence » – sans donner d’ailleurs de précision supplémentaire. Il
est certain qu’Hedilla a été poussé par d’autres, dont il n’est que le
prête-nom. Il est curieux à cet égard de noter qu’une hostilité permanente se
maintiendra contre le régime dans l’entourage de Pilar Primo de Rivera. Cette
femme, qui veut incarner l’esprit de la Phalange après la mort de son frère,
semble être au centre de l’opposition des Camisae vie jas contre le
gouvernement Franco [421] .
Mais son nom la protège des mesures policières.
En grossissant volontairement et en réprimant avec dureté un
complot maladroit, Franco a sans doute voulu impressionner des opposants plus
dangereux qu’Hedilla. Les « jeunes gens », dont parle le
généralissime, ont reçu des encouragements de l’extérieur. La sympathie que la
Phalange a toujours rencontrée à Rome et à Berlin s’est accentuée depuis l’arrivée
des ambassadeurs des puissances de l’Axe. Si le premier ambassadeur italien,
Cantalupo, dont la mission est d’ailleurs extrêmement brève, ne s’est pas
intéressé de trop près à la politique intérieure de la zone nationaliste, il n’en
est pas de même pour son successeur, le comte Viola, et pour le représentant
allemand : Wilhelm Von Faupel manifeste ostensiblement son amitié aux Camisas
vie jas ; il était certainement au courant du complot et a peut-être
fourni des armes aux conjurés. Franco plaisante-il quand il propose à Faupel d’envoyer
Hedilla « pour quelques mois en Allemagne et en Italie, afin qu’il y
apprenne quelque chose et qu’il puisse par la suite utiliser ses expériences
pour travailler au relèvement du pays » [422] ?
En fait, Hedilla connaît rapidement l’issue de son
procès : la culpabilité des accusés est entièrement reconnue. Quatre
condamnations à mort sont prononcées, dont celle de l’ancien chef de la
Phalange [423] .
De l’avis de Suñer, qui ne pèche généralement pas par excès de générosité, les
sentences sont très sévères. L’ambassadeur allemand, craignant sans doute d’être
considéré comme responsable de la situation, a cherché à sauver la vie d’Hedilla.
Il demande à son gouvernement des instructions sur l’attitude qu’il doit
adopter dans cette affaire, mais en suggérant une intervention directe, un
appel à la clémence. Faupel propose même que soit communiquée au généralissime
une observation selon laquelle « l’exécution d’HediIla et de ses
compagnons, au moment actuel, est une mesure qui semble critiquable pour des
raisons politiques et sociales ». Nous ne savons ce que la Wilhelmstrasse
a répondu à ce sujet à son ambassadeur, ni s’il y eut aussi, ce qui est
probable, une démarche italienne en faveur d’Hedilla, mais la peine des
condamnés à mort fut commuée en prison à vie [424] .
Une telle grâce ne saurait affaiblir, bien au contraire, la position du général
Franco. La nécessité de sauvegarder l’unité nationale dans le combat lui assure
du reste bon nombre d’appuis. Il prétendra avoir reçu le 5 mai « soixante
mille télégrammes de félicitations et d’approbation »…
Malgré cet optimisme officiel, il est certain que l’esprit d’opposition
a survécu dans nombre de milieux phalangistes ; nous le voyons surgir par
moments et se manifester d’autant plus brutalement que toute forme d’hostilité
au régime est étouffée par une répression continue. L’incident le plus typique
à cet égard est le discours prononcé le 19 avril 38 à Burgos par le général
Yagüe. Yagüe est un des plus populaires parmi les chefs militaires
nationalistes ; la part considérable qu’il a prise à la guerre depuis l’insurrection
du Maroc, sa réputation de chef « social », ses amitiés personnelles
avec des Camisas vie jas ont fait de lui « le général de la
Phalange », ce qui explique que son nom ait été prononcé dans le complot d’Hedilla.
Les critiques qu’il émet dans son discours de Burgos semblent être l’écho de la
désillusion phalangiste à la suite des mesures de conservation sociale prises
par le gouvernement
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