La Révolution et la Guerre d’Espagne
l’Espagne, mais aussi celle de la Chrétienté tout entière. Ces soldats
de Dieu se battent « pour les principes fondamentaux de toute société
civilisée ». Il est d’ailleurs tout à fait remarquable que le texte
commence par un « appel à l’aide des peuples catholiques » ; cet
appel est sans doute destiné aux catholiques français, mais aussi à ceux d’Amérique
du Sud, que le souvenir d’une civilisation commune, de leur appartenance à la Hispanidad, pourra plus facilement rallier.
Enfin, la Lettre réfute l’idée que cette guerre oppose l’Église
aux Pouvoirs constitués : l’autorité publique était ruinée ; pour la
rétablir, les dirigeants du soulèvement ont eu recours à « un plébiscite
armé ». Nous retrouvons ici l’argument invoqué depuis le début du Movimiento par ses partisans.
Il reste que les représentants de l’Église espagnole se sont
catégoriquement refusés à cautionner tout ce que recouvre le Movimiento. Un
paragraphe est particulièrement significatif : il y est déclaré que l’Église
ne se rend pas solidaire « des tendances ou intentions qui, dans l’avenir,
pourraient défigurer la noble physionomie du Mouvement national ». Un
élément de polémique, dirigé évidemment contre la Phalange, vient donc ici s’ajouter
au texte.
On ne saurait trop insister sur le fait que cette Lettre est
destinée à l’exportation. La prise de position des évêques n’apprendra rien à
ceux qui vivent le conflit espagnol. Au contraire, son allure officielle, son
ton catégorique en font aux yeux de l’étranger un texte capital : on
présente aux chancelleries étrangères l’« aspect réel » de la guerre
d’Espagne ; d’où l’insistance que met le texte à souligner la
« sauvagerie collective » de la révolution et des persécutions
anti-religieuses : d’où la volontaire aberration qui consiste à présenter
la révolution comme un soulèvement communiste, sans se soucier des confusions
de termes [429] .
L’essentiel est de rappeler à tous que ce qui se passe en Espagne dépasse le
cadre d’une simple guerre civile, car « Dieu a permis que notre pays fût
un champ d’expérience pour les idées et les systèmes qui aspirent à conquérir
le monde ».
Dans la lutte engagée, l’Église a désormais pris position.
Son action va contribuer à donner au régime une orientation définitive. Plus
encore que les Jésuites, dont le retour à cette époque est significatif, les
Dominicains semblent avoir exercé une influence considérable sur les dirigeants
nationalistes. Stôhrer note, parmi les conseillers personnels de Franco, le
père Menendez Reigada. L’influence de l’Église ne s’exerce pas seulement sur le
général, mais aussi, sur ses proches, en particulier sur son beau-frère, Ramon
Serrano Suñer. Or, depuis que celui-ci s’est évadé de zone républicaine en
février 37, son influence s’est sans cesse accrue. Les hommes changent :
lorsque le premier gouvernement véritable est formé, Suñer y fait son entrée,
tandis que Nicolas Franco est envoyé comme ambassadeur au Portugal.
Le nouveau personnel franquiste
Au moment de la proclamation du décret sur le Parti unique,
Suñer venait d’arriver à Salamanque ; tout de suite, il prend sur le
général un ascendant qui ne se démentira pas. Il est petit, mais assez fort,
« très strict dans sa tenue, même élégant » ; il frappe par ses
cheveux « prématurément gris », ses gestes rapides, son
« excitation perpétuelle » ; très nerveux, passant d’un extrême
à l’autre, parfois charmant et voulant charmer, Il est à d’autres moments
brusque et peu courtois. Il a fait ses études à l’Institut espagnol de Bologne.
Juriste de valeur, il a vécu longtemps à Saragosse. Ses relations avec le
général Franco datent de son mariage, les deux hommes ayant épousé deux sœurs.
Au moment de l’insurrection, il se trouve à Madrid. Ses opinions politiques –
il a appartenu à la C. E. D. A. -, ses relations familiales avec le chef de l’insurrection,
font de lui un des hommes les plus directement visés par la révolution
populaire ; il est arrêté, incarcéré au Careel modelo, puis
transféré dans une clinique, sur l’intervention du ministre Irujo : il
parvient alors à se réfugier dans une légation, probablement celle de Hollande.
Avec l’aide de l’ambassadeur d’Argentine, il s’embarque alors à destination de
Marseille
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