La Révolution et la Guerre d’Espagne
sur le Tueuman. Mais ses deux frères n’ont pas eu la même
chance ; et Suñer gardera toujours rancune à l’Angleterre de ces morts,
dont il attribue en partie la responsabilité à la mauvaise volonté de l’ambassade
britannique.
Elève des Jésuites, intransigeant défenseur de l’Église, il
est resté profondément marqué par son éducation catholique. Favorable à l’Allemagne,
il garde toujours une certaine méfiance vis-à-vis de Hitler, dont la politique
hostile au christianisme le heurte. Aussi passe-t-il plutôt et à juste titre
pour être l’homme de l’Italie. Entier, violent, « un Robespierre au petit
pied » [430] ,
tous ceux qui l’ont approche sont d’accord pour le qualifier de « fanatique » [431] . Son mysticisme,
la haine qu’il éprouve pour l’esprit libéral, et par suite pour le système
démocratique, ont encore accusé les traits du personnage. Son admiration pour
les régimes autoritaires et particulièrement pour le fascisme l’amènent à s’éloigner
des éléments monarchistes dont il critique le modérantisme. Ses amitiés ont
toujours été très éclectiques ; il est en relations avec certains chefs
traditionalistes, Rodezno ou Sainz Rodriguez, mais il est aussi l’ami personnel
de José Antonio [432] et s’entend bien avec les nouveaux chefs de la Phalange, Amado et Hedilla. Son
évolution politique l’a amené à exprimer l’idée « d’un régime permanent, à
la tête duquel se trouverait Franco comme chef de l’État ». S’il ne refuse
pas catégoriquement le rétablissement de la monarchie, il n’envisage plus
« un rétablissement immédiat ». Dans vingt ans, « l’Espagne
pourra avoir besoin d’un roi » ; en attendant, il est infiniment
probable qu’il a orienté son beau-frère vers l’établissement d’une dictature
personnelle.
Avec la formation, le 1 er février 38, du nouveau
gouvernement, les idées de Suñer semblent triompher. Il est ministre de l’Intérieur,
de la Presse et de la Propagande, et devient le théoricien du nouveau régime.
Les chefs les plus marqués politiquement des monarchistes et de la Phalange ne
font pas partie du ministère. En revanche parmi les principaux ministres, on
compte cinq militaires ; outre les trois postes de
« techniciens » [433] ,
le général Jordana occupe les Affaires étrangères. Suñer, qui ne l’aime pas, le
qualifie de « libéral », Hayes de traditionaliste. C’est l’homme de l’Angleterre.
Le général Martinez Amdo est responsable de l’Ordre public. Il est normal de
voir en lui plus qu’en Suñer le véritable dirigeant de la répression en Espagne
nationaliste, bien que les responsabilités politiques, et notamment les mesures
de police dépendent tantôt du ministère de l’Intérieur tantôt de l’Ordre
public. Cet état de choses crée d’ailleurs une hostilité entre les deux hommes,
de caractère également autoritaire. Les réunions ministérielles de l’année 38
sont animées par cette querelle [434] .
Les autres ministres sont des techniciens plus que des
politiques : aux Finances, Amado, ancien collaborateur de Calvo
Sotelo ; à l’Economie, l’ingénieur Suances.
Militaires et techniciens s’opposent par leurs personnalités
et leurs opinions politiques ; aussi la formation du ministère
marque-t-elle un pas de plus vers la dictature du général Franco. Aux opposants
monarchistes, il faut en effet imposer les réformes indispensables : le
premier message gouvernemental rappelle l’urgence d’une transformation sociale,
proclame la nécessité d’une organisation syndicale groupant patrons,
techniciens et travailleurs. Par contre, aux phalangistes, il convient de faire
savoir que la révolution est un danger, que l’Espagne doit revenir à ses
grandes traditions [435] .
A tous, il faut dire que le moment est arrivé de reconstruire l’État. Le
Caudillo doit être aux yeux de tous le chef de ce Movimiento et le
réorganisateur du pays. Le 19 juillet 38, un décret donne à Francisco Franco la
dignité de capitaine général pour l’armée et la marine. Ce titre en soi ne
signifie rien. Sa valeur est purement symbolique. Il n’a été donné, en Espagne,
qu’aux rois. Il fait de celui qui le reçoit un véritable souverain sans
couronne, et consacre la victoire politique du général. Deux ans après le
pronunciamento de 36, Franco devient le successeur des rois catholiques. La
supériorité des armes semble près de lui
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